Thursday 7 November 2013

La personnalité des lois régissant le statut personnel des femmes libanaises







"Il dépend [des nations] que l'égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères."

 Tocqueville.

Après 30 ans sur le traité de l'ONU de 1979 : la femme libanaise face à l'incapacité de l'Etat de lever ses réserves à deux articles fondamentaux de la :

CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE
DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES


Cette convention fêtera bientôt 30 ans de son existence dans la mesure où elle a été adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale de l’ONU et entrée en vigueur en 1981. Elle est souvent décrite comme la Charte internationale des droits et libertés pour les femmes. 
 

Parmi les doits subjectifs de la femme au sens de cette convention, ainsi qu’au sens des instruments internationaux des droits de l’homme, figure, en premier lieu, son droit de créer une famille de son choix, d’exercer l’autorité parentale et son droit de garde, son droit d’hériter et de faire hériter ses enfants, sans discrimination. 

CF. le texte de la Convention sur le lien :

http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/text/fconvention.htm 

http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/cedaw.htm

http://www.un.org/womenwatch/daw/cedaw/text/0360793A.pdf 

إتفاقية الأمــم المتحـدة
للقضاء على جميع أشكال التمييز ضد المرأة

 
De manière très concrète, l’article premier de la Convention de 1979 de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes définit la discrimination comme étant:


 « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quelque soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ».

Cette définition n’a jamais fait l’objet d’une réserve libanaise lors de la ratification de la Convention de 1979 par le Liban en 1996. Elle  s’impose donc comme critère essentiel, pour apprécier s’il y a ou non , dans les lois libanaises internes, une rupture d’égalité au détriment de la femme par rapport à l'homme , lors de l’exercice de ses droits subjectifs.

A cet égard, l'article déjà publié sur ce blog sur ce sujet, précisément « la condition juridique de la femme libanaise : Modernité de droit, sauf celui de la famille confessionnelle", a déjà démontré comment le droit séculaire libanais  a évolué, (notamment civil, commercial, pénal, électoral, professionnel, ..etc) sauf en matière du droit de la famille.

En effet, la situation des femmes au Liban a toujours reflété un grand contraste: d’une part, une large émancipation des femmes, une scolarisation égale aux hommes, une participation active aux différents domaines (éducation, culture, travail, etc..) et, d’autre part, de fortes discriminations dans le droit de la famille.

Il peut y avoir donc un conflit de normes entre la source internationale de la règle proposée (en vertu de la Convention de 1979 de l’ONU) et le pluralisme des sources internes, à l’origine des lois religieuses organisant les ruptures d’égalité défavorisant les femmes en matière de statut personnel (mariage, héritage, filiation, nationalité, etc).

Or, pour atténuer ce conflit, le Liban a formulé une réserve sur le contenu de l’article 9 et sur celui de l’article 16 de cette convention (sur le fond), ainsi que sur la procédure de suivi et de contrôle (article 29 de la convention).

La première réserve libanaise concerne l’article 9.2 qui reconnaît les mêmes droits aux deux parents de donner leur nationalité à leurs enfants.

Cet article dispose que « Les Etats parties accordent à la femme des droits égaux à ceux de l’homme en ce qui concerne la nationalité de leurs enfants »devrait conduire à la réforme du code de la nationalité ».

La deuxième réserve libanaise est beaucoup plus grave, car elle concerne l’article 16 de la Convention qui contient deux paragraphes préconisant un âge minimum pour le mariage et disposant que les hommes et les femmes doivent se voir accorder :

« Les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution [al. c)]; Les mêmes droits et les mêmes responsabilités en tant que parents pour les questions se rapportant à leurs enfants [al. d)] :

Les mêmes droits et responsabilités en matière de tutelle, de curatelle, de garde et d’adoption des enfants [al. f)] : Les mêmes droits personnels au mari et à la femme, y compris en ce qui concerne le choix du nom de famille [al. g)] ».

Mise à part la réserve portant sur l’article 29 de la Convention qui a un caractère procédural, les réserves sont fondamentales[1].

Si le Liban explique ces réserves  par le fait que les libanais ne sont pas tous soumis à la même loi sur le statut personnel, chacun d’entre eux étant, dans ce domaine, soumis à la loi et aux tribunaux propres à sa confession, il reconnaît de facto des discriminations consacrées par des lois « sacrées » intouchables, héritées de l’époque ottomane et même confirmées durant le Mandat français et après l’indépendance libanaise jusqu’au dernier refus du parlement en 1998 et en 2009 de voter le projet de loi pour le mariage civil facultatif.

Pourtant, plusieurs tentatives de réformes législatives ont été initiées pour établir un code civil unifié du statut personnel ou, au moins, introduire un mariage civil facultatif au Liban, mais elles ont toutes tourné court.

La société civile a bien bougé, mais de manière parfois éparpillée et caractérisée par un manque de coordination entre toutes les ONG, alors que les obstacles sont structurels tant au sein du parlement qu’au sein des institutions religieuses et confessionnelles.

L’exemple type, c’est la compagne qui visait la modification du code de la nationalité, tout en laissant de côté la réforme des statuts personnels des libanais.

Certes, le code de nationalité séculaire au Liban est-il basé sur le lien du sang et non pas sur le lien du sol. Or, même sur ce plan, la réserve est mal fondée et ne s’explique pas par des contraintes religieuses, dans la mesure où le lien du sang pour l’octroi de la nationalité n’est accordé qu’au père, à l’exclusion de la mère. La compagne de 2009 et de 2010 en faveur de cette réforme a aussi échoué, car elle n’avait pas les forces politiques et parlementaires pour la soutenir.

De surcroît, réclamer des droits au titre du droit civil sécularisé de la nationalité au nom de la femme libanaise tout en étant soumise au droit communautaire crée une grande ambiguïté. Paradoxalement, si la femme libanaise venait à pouvoir donner la nationalité à ses enfants, elle ne pourrait pas pour autant faire échapper son mari et ses enfants aux autres conditions régissant les questions de succession ou autres thèmes en droit interne libanais.

Ce fractionnement dans la compagne pour favoriser la levée des réserves trouve sa source dans le système de personnalisation des associations en véritable prolifération, sans une vision globale au moment où la crise des partis politiques, totalement instrumentalisés par leur formation confessionnelle et les exigences de leurs alliances communautaires, s’aggrave de manière qui influence la fixation d’une stratégie d’action civile en faveur des droits de la femme,  sujet relégué au second plan au profit d’une polarisation politique ayant des ramifications régionales contestées par la société civile.

L’état des lieux met donc en avant, d’une part, une société civile qui bouillonne d’énergie et, d’autre part,   la défaillance des institutions publiques et le manque de soutien à l’organisme qui a été pourtant crée en 1998 après la ratification de la Convention de 1979 de l’ONU, notamment la Commission Nationale de la femme libanaise.

En effet, cette Commission, créée pourtant par la loi libanaise, n’a réussi à faire intégrer son budget dans le budget prévisionnel de l’Etat pour 2009 qu’après dix ans de son institution, alors qu’elle aurait pu davantage coordonner entre les actions des ONG et les Ministères concernés par le statut de la femme au Liban.

Quelle a été la réaction du Comité de suivi de la Convention de 1979 ?

Les États qui deviennent parties à cette convention doivent soumettre un rapport national au Comité au moins tous les 4 ans, indiquant comment les droits de la Convention sont appliqués. Le Liban a présenté jusqu’à maintenant deux rapports et le Comité a réagi par des recommandations, sans omettre la résolution de la Conférence des Etats parties.

En vertu d’une résolution des Etats parties à la convention questionnant la compatibilité de plusieurs réserves (libanaises ou non libanaises) avec l’objet et le but de la Convention, le Comité de suivi de la Convention de 1979  a demandé au Liban d’œuvrer pour la levée des réserves  en vue de faciliter la mise en œuvre effective de la Convention prévoyant l’obligation pour le Liban de rendre sa législation interne compatible avec les dispositions de la Convention.

Cette résolution est fondée, car les réserves libanaises ont aboutit à fragmenter les droits de la femme en tant que droits indivisibles déjà prévus (mais moins détaillés) dans les traités des droits de l’homme.

Pourtant, le Liban n’a pas pu l’exécuter et a préféré entamer un dialogue avec le Comité de suivi.

Absence de politique législative pour lever les réserves ou exécuter les articles de la Convention n’ayant pas fait l’objet de réserve. 

Le Comité de suivi issue de la Convention de 1979 a été, à deux reprises en 2005 et 2008,  préoccupé de constater que les efforts déployés par les autorités libanaises pour modifier ses textes de loi discriminatoires et les rendre conformes à la Convention l’ont été « au cas par cas ».

Lors de la présentation du rapport du Liban en 2005 au Comité, la Délégation libanaise a indiqué que « que le Liban ne pouvait retirer ses réserves ni au paragraphe 2 de l’article 9, ni aux alinéas c), d), f) et g) du paragraphe 1 de l’article 16, ni au paragraphe 1 de l’article 29 (portant sur le mode de règlement des différends)». D’après la représentante, il n’existait aucune loi sur le statut personnel s’appliquant à tous les Libanais et que le travail se poursuit sur ce sujet.

En réponse à cette stagnation de la situation depuis 1996 jusqu’au 2005, le Comité s’est contenté de demander instamment au Liban «  de prendre dès que possible les mesures nécessaires pour limiter et, à terme, supprimer ses réserves à la Convention » et de prier le Liban « d’adopter un code unifié concernant le statut personnel qui soit conforme à la Convention et s’applique à toutes les Libanaises, quelle que soit leur affiliation religieuse. Il recommande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations détaillées sur les différentes communautés religieuses existant dans le pays, et notamment les divers codes relatifs au statut personnel touchant les femmes ».

Or, lors de la présentation du Liban de son rapport rédigé en 2007 et débattu en  2008, le Comité s’est dit inquiet « du manque de progrès dans l’établissement d’un code unifié sur le statut des personnes », tout en réitérant ses décisions et sa recommandation visant à la levée des réserves et l’adoption d’urgence d’un Code du statut personnel unifié, qui soit conforme à la Convention et soit applicable à toutes les femmes du Liban, indépendamment de leur religion.  

En raison de la complexité juridique de la matière, le Comité de suivi de la Convention de 1979 avait du mal à comprendre que la réception des droits fondamentaux applicables aux femmes ne pouvait pas s’effectuer de la même manière dans une société unitaire plus ou moins homogène (unification turque ou française ou, à l’opposé même, saoudienne et iranienne), et dans une société pluraliste multiculturelle comme la société libanaise, dont les diverses composantes jouissent d’une large autonomie, notamment dans les matières du droit de la famille où les particularismes s’expriment avec le plus d’intensité.

Pour minimiser cette défaillance, plusieurs prétextes ont été avancés devant le Comité de suivi de la Convention, sans préjudice des raisons réelles qui concerne le caractère hétérogène  sur le plan juridique des mesures ou actions entamées tant par les autorités que par les ONG. 

Le prétexte des conséquences du conflit interlibanais 

Présentant le rapport du Liban de 2007 au Comité de l’ONU chargé du suivi de la Convention de 1979, Mme Layla Azouri Jamhouri, membre de la Commission nationale de la femme libanaise, a rappelé en 2008 que, depuis la présentation de son précédent rapport en 2005, « le Liban a connu des événements dramatiques comprenant une série d'assassinats, et d'attentats, ainsi qu'un conflit. La situation du pays s'est dégradée à tous les niveaux, notamment sur les plans politique, économique et social » afin de conclure que « le défi majeur auquel le Liban est confronté aujourd'hui est le retour à la normale de la vie politique ».

La délégation libanaise  a également expliqué que « La pression exercée par la Commission nationale de la femme libanaise s'agissant de toutes ces questions ne peut pas produire les effets escomptés dans la situation de crise que connaît actuellement le Liban. […] Parler aujourd'hui d'un code civil sur le statut personnel n'est donc pas une question que l'on peut aborder facilement au Liban ».
 
Si cette raison reflète une réalité politique, caractérisée par la paralysie de la vie parlementaire et politique entre 2005 et 2008, elle n’explique pas comment le Liban a pu entamer la phase de reconstitution étatique au moment où le rapport fut discuté en 2008 ni comment d’autres lois touchant le droit de travail ou le droit commercial ou bancaire ont pu avoir lieu pendant cette période.

 Or, lors de la présentation du Liban de son rapport rédigé en 2007 et débattu en  2008, le Comité n’a pas compris cette stagnation législative expliquée par la délégation libanaise à Genève et s’est dit  « très préoccupé » du fait que « que la promotion des droits des femmes et de l’égalité entre hommes et femmes n’est prioritaire ni dans le traitement des conséquences du conflit ni dans le processus de paix et de reconstruction ». Le Comité[1]  a enfin prié le Liban « à veiller à ce que la protection des droits fondamentaux des femmes et l’égalité des sexes soient des objectifs centraux de tous les aspects du processus de transition ».

La persistance des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires libanais dans le refus de légaliser le mariage civil facultatif, ainsi que l’échec des mouvements visant à l’instaurer, ont et auront davantage des conséquences graves sur tous les plans : juridique, théologique, idéologique, politique, économique, éthique et sociologique.

Ces conséquences sont également paradoxales pour les générations présentes et futures dans la mesure où le statu quo du droit positif libanais consolide le maintien des discriminations consacrées dans les textes juridiques à caractère religieux, tout en introduisant en son sein des normes de source internationale conflictuelles avec celles en vigueur, sans que ce conflit soit réglé et sans que l’Etat puisse arbitrer positivement entre ses obligations internationales et ses obligations internes.

A ce paradoxe, s’ajoutent d’autres résultant de plusieurs dualités affectant le rôle des institutions étatiques : la neutralité de l’Etat et son obligation de garantir tant les droits des individus que ceux des communautés, l’extraterritorialité des normes religieuses et l’illusion du particularisme libanais fondé sur les autonomies internes des communautés, etc…

Sans que ce rapport sombre en détail dans la philosophie, la théologie, la sociologie ou l’histoire du droit de la famille, toute contribution relevant de ces disciplines ou toute approche multidisciplinaire sera indispensable pour cerner davantage les fondements de l’attachement des libanais aux institutions religieuses en droit de la famille au Liban.

Pour ma part, il s’agit de traiter ces conséquences sur le plan juridique, en ayant à l’esprit que ce statu quo ne reflète qu’une phase riche de plusieurs potentiels positifs ou négatifs, bien que le constat général soit encore amer du fait que, malheureusement, l'insertion du Liban dans les temps normatifs modernes n’a accouché, pour le moment, que d'une modernité ambivalente, entre tradition religieuse revisitée et sécularisation éclectique.




[1] En fait, le Liban fut de facto assimilé à d’autres Etats arabes et à Israël dans la mesure où  le Comité était également préoccupé par le fait qu'en Israël « aucune loi fondamentale ne consacrait le principe d'égalité ni n'interdisait la discrimination » et qu'« il n'existe pas de mécanisme gouvernemental spécifiquement chargé de promouvoir et de coordonner les politiques en faveur des femmes ».

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