Nature juridique de la Commission de
contrôle des
fichiers de l'OIPC-Interpol
fichiers de l'OIPC-Interpol
L'éventualité
de la création d'un organe international de protection des données sur le
modèle de la Commission
de contrôle des fichiers de l'OIPC-Interpol suscite des discussions sur
l'étendue des prérogatives d'une telle institution, sur sa nature juridique,
sur son indépendance et son efficacité.
Présentée lors de sa création comme un organe original en
droit international public1, la
Commission de contrôle interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol
a subi les préjugés et les reproches traditionnellement formulés à l’égard
d’Interpol2, organisation internationale intergouvernementale mal connue et mal
analysée3.
Toutefois,
cette nouvelle institution fonctionne depuis bientôt une décennie d’une manière
permanente et suffisante pour permettre d’apprécier sa crédibilité et son
efficacité. Elle est même devenue une référence internationale susceptible de
servir de modèle pour le contrôle des fichiers de nombreuses organisations internationales
installées sur le territoire français.
Louis Joinet, magistrat et ex‑conseiller
technique au cabinet du premier ministre français, qui fut le consultant des
représentants français à la négociation de l’accord de siège entre l’OIPC‑Interpol
et la France,
a, en sa qualité de rapporteur de la Commission des droits de l’homme de l’ONU,
présenté la Commission
de contrôle des fichiers de l’OIPC comme exemple d’un éventuel organe de
contrôle des fichiers des organisations internationales dans son rapport sur
les principes directeurs en matière de protection de données nominatives.
Certes, les questions
d’adaptation de la procédure de contrôle des fichiers à chaque organisation
internationale compte tenu de sa nature, de son domaine d’action et de ses modalités
de fonctionnement n’ont pas été tranchées (Europol, Système Schengen, OCDE,
Nations Unies, etc.). Il n’en reste pas moins vrai que la création d’un organe
international de protection des données sur le modèle de la Commission de contrôle
interne des fichiers de l’OIPC-Interpol suscite des discussions sur l’étendue
des prérogatives d’une telle institution, sur sa nature juridique, sur son
indépendance et son efficacité.
Ce débat rappelle fort bien
les questions posées lors de la création de cette commission de contrôle :
S’agit‑il d’une commission ad hoc ou permanente? Faut‑il donner des
prérogatives juridictionnelles à cet organe ou limiter son rôle à des missions
de vérification d’ordre général? Quelles sont les normes de contrôle à
appliquer?
La réponse à ces questions
implique une analyse de la nature juridique de cette nouvelle institution, afin
d’éclairer le particularisme de cet organe de contrôle exceptionnel en droit
international public et d’apprécier l’opportunité de toute création future d’un
organe semblable en matière de protection de données sur le plan international.
Débat politique ou débat juridique?
La question s’est posée quant
au caractère interne ou externe de la Commission par rapport à l’Organisation elle‑même.
Certains, ont soutenu que la
Commission “semble être à mi‑chemin entre l’externe et
l’interne” et qu’elle est “peut‑être plus organisme de contrôle interne
qu’organe interne de contrôle4”. D’autres ont conclu à son caractère interne et
prétendu que ce caractère aurait des conséquences sur l’efficacité du
contrôle5.
En fait, la discussion qui a
eu lieu sur le caractère interne ou externe de la Commission lors du
débat parlementaire tant français qu’européen était plutôt politique que
juridique. En préjugeant que tout contrôle interne est signe d’inefficacité et
en faisant croire que tout contrôle externe est un signe d’efficacité, certains
ont fait abstraction tant des attributions effectives de la Commission que des
garanties réelles de son indépendance.
Ce débat politique, dépourvu
de toute consistance juridique, évite de situer la place de cet organe dans
l’ordre juridique interne de l’Organisation ou de l’État de siège et d’analyser
son acte constitutif. Il aboutit donc à occulter la nature juridique exacte de la Commission, dont la
détermination conditionne le régime juridique. En tout état de cause,
l’Assemblée générale de l’OIPC-Interpol, lors de sa session au Caire en 1998, a accepté le rapport
présenté par la Commission
de contrôle. La Commission
elle-même demandait de supprimer l’adjectif “interne” qui figurait dans sa
dénomination, pour mettre l’accent sur sa composition essentiellement autonome,
dans la mesure où ses membres n’ont aucun lien de subordination avec le
secrétaire général. L’Assemblée générale a bien noté que le mot “interne”
qualifiait le contrôle des archives et ne créait pas une subordination de la Commission, laquelle
reste un organe indépendant tout en appliquant des normes internes et en
s’intégrant dans la structure de l’Organisation.
Il semble donc indispensable
de commencer toute étude de la nature juridique de la Commission par
l’analyse de son acte constitutif et de sa valeur dans l’ordre juridique
interne de l’OIPC‑Interpol ou dans celui de l’État de siège. En effet, des
questions peuvent se poser quant à savoir si la Commission est un
organe semblable à une institution spécialisée à l’image de celles du système
des Nations Unies, ou si elle reste un organe couvert par la personnalité
juridique internationale de l’Organisation elle‑ même?
Ces questions, qui sont
essentielles pour déterminer les conséquences juridiques de la création de la Commission, peuvent se
résumer en droit des organisations internationales de la façon suivante : La Commission est‑elle ou
non un organe subsidiaire de l’Organisation? En d’autres termes, est‑elle un
organe créé par un traité international ou par un acte unilatéral de
l’Organisation?
C’est la raison pour laquelle
cette étude cherche à analyser l’acte constitutif de la Commission tel qu’il a
été décidé par l’Organisation elle‑même dans le cadre d’une opération de
jumelage entre la prise de décision interne de créer un “organe subsidiaire” et
l’approbation de l’accord de siège projeté avec la France.
Selon P.
Reuter, la création des organes subsidiaires dépend d’un principe simple et
clair : Les organes subsidiaires d’une organisation internationale sont
ceux qui “ne relèvent que des délibérations de l’Organisation en tant que
telle; ils n’ont pas à être créés par des accords intergouvernementaux”6.
L’analyse de la physionomie
originale de l’organe subsidiaire repose donc sur la distinction entre une
convention (comme celle qui a créé l’autorité de contrôle commune du Système
Schengen ou celle d’Europol) et un acte imputable à une organisation
internationale (résolution, règlement interne).
S’agit‑il d’un organe créé par un traité international?
Selon la thèse de
M. Valleix, la création de la Commission par l’OIPC‑Interpol “se présente comme
l’acte d’exécution d’un accord dont le contenu procède de la volonté de
l’Organisation bien entendu, mais aussi de celle de l’État du siège”. La
conséquence juridique de cette thèse est que “la Commission de contrôle
se distingue dès lors des autres organes d’Interpol par le fait qu’il ne peut
être mis fin à son existence sans le consentement du Gouvernement français7”.
La thèse de M. Valleix
va toutefois plus loin que la simple exécution d’un accord bilatéral pour
aboutir à un acte commun de création de cette Commission. En effet, un organe
créé par accord international bilatéral, même s’il entretient des relations
étroites avec l’OIPC‑Interpol, ne peut entrer dans la catégorie des organes
internes de l’Organisation sans en dénaturer la substance7. Par conséquent, la
distinction entre la
Commission comme organe interne de l’Organisation et une
nouvelle entité internationale créée par un accord entre deux sujets de droit
international devient moins tranchée qu’elle ne peut le paraître à première
vue9.
En fait, cette analyse
aboutit indirectement à faire abstraction de la volonté de l’Organisation. En
effet, comment peut‑on interpréter la volonté de l’Organisation si son action
vient à créer un organe en dehors de son ordre juridique interne ou un organe
qui sera l’égal de son organe principal (et par conséquent l’égal d’une
nouvelle organisation internationale), alors que son statut, resté sans
amendement à la suite de cette création, lui donne une compétence limitée et
que la modification de ce statut nécessiterait l’intervention d’autres États
membres?
En outre, l’acceptation de
l’Organisation de constituer une commission de contrôle crée effectivement un
engagement international à la charge de l’OIPC‑Interpol, sans que cet
engagement puisse être assimilé à un acte de création commun de ladite
commission. Le caractère simultané de la création de cet organe avec la
conclusion de l’accord de siège projeté avec la France ne suffit pas, à lui
seul, pour déduire l’existence d’un acte de création commun.
C’est la raison pour laquelle
il importe d’expliquer le contexte de ce jumelage entre la création de la Commission et
l’approbation de l’accord de siège d’une manière juridique plutôt que
politique. Politiquement, il est vrai que la France a obtenu lors de la négociation un
avantage spécifique par rapport aux autres pays membres : celui de pouvoir
désigner un membre de la Commission. Toutefois, le droit commun des
accords de siège peut offrir des explications juridiques à cet avantage, qui ne
permet pas à lui seul de conclure à une subordination de l’Organisation à la France, laquelle s’est par ailleurs
engagée à respecter l’inviolabilité des archives d’Interpol.
Jumelage de la création de la Commission
avec l’approbation de l’accord de siège
Premièrement, il convient de
préciser que l’Assemblée générale de l’OIPC‑Interpol, réunie en sa 51e session
à Torremolinos (Espagne) du 5 au 12 octobre 1982, a voté une résolution
unique ayant pour objet l’adoption d’un règlement relatif à la coopération
policière internationale et au contrôle interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol,
ainsi que l’approbation d’un projet d’accord de siège et d’échange de lettres
entre le gouvernement de la
République française et l’OIPC‑Interpol.
Cette résolution10 est en
fait la combinaison de deux projets de résolution qui auraient pu être votés
séparément. En effet, l’absence de dispositions particulières s’appliquant à
l’approbation d’un accord de siège dans le statut de l’OIPC‑Interpol aurait
permis de voter le projet de résolution à la majorité simple des “présents
votants pour ou contre”. Mais le projet de règlement relatif au contrôle
interne des fichiers prévoyait dans son article 27 son adoption en tant
qu’annexe au règlement général de l’Organisation. Or, aux termes de l’article
44 du statut d’Interpol et de l’article 20 du règlement général, une annexe au
règlement général doit être adoptée à la majorité des deux tiers des “présents
votants pour ou contre”.
Face à cette situation, le
Comité exécutif de l’Organisation a délibéré de la procédure à suivre par
l’Assemblée générale en vue de l’adoption du projet d’un nouvel accord de siège
entre le gouvernement de la
République française et l’OIPC‑Interpol. Il lui est apparu
que, même en l’absence de dispositions spécifiques du Statut régissant
l’adoption d’un accord de siège, il conviendrait de voter ce projet à la
majorité des deux tiers des présents votants pour ou contre. Cet avis du Comité
exécutif procède des considérations suivantes : l’accord de siège revêt
pour l’Organisation une importance fondamentale et devrait réunir un large
consensus parmi les membres. L’Organisation ne peut garantir des engagements de
droit international résultant de l’accord de siège et notamment de l’échange de
lettres qui l’accompagne qu’au moyen d’un règlement constituant une annexe au
Règlement général11. Cette annexe doit être adoptée à la majorité des deux
tiers des présents votants pour ou contre. Il serait inopportun d’adopter
l’accord de siège à la majorité simple des présents votants pour ou contre
alors qu’une de ses garanties ne peut être mise en application que si une
majorité des deux tiers le permet. L’Assemblée générale a approuvé cette
proposition du Comité exécutif, et l’accord de siège avec l’échange de lettres
et l’annexe au Règlement général ont fait l’objet d’un seul vote sur un projet
de résolution portant approbation de l’ensemble desdits textes.
Cette initiative a été prise
en connaissance de cause dans la mesure où le contenu des dispositions
essentielles du projet d’échange de lettres a été incorporé à la deuxième
partie du règlement interne d’Interpol, intitulée “Contrôle interne des
fichiers de l’OIPC‑Interpol”, et a été complété par des dispositions visant à
permettre la constitution de la Commission. Celle‑ci a d’ailleurs été présentée à
l’Assemblée générale d’Interpol comme un organe de l’Organisation “constituant
un équivalent international des organes de protection des données créés sur le
plan national dans certains pays12”.
Cette allusion à plusieurs
organes de protection des données dans les pays membres répliquait
indirectement à certaines idées de transfert du siège de l’Organisation en
dehors du territoire français et reflétait la préoccupation de l’Organisation
face à l’évolution des législations nationales en matière de protection des
données13.
Ce jumelage n’est donc pas
une simple opportunité de procédure, mais une volonté politique de
l’Organisation d’honorer ses engagements à l’avance par un acte unilatéral
émanant de son organe suprême afin de permettre à la France de renoncer à
l’application de la loi de 1978 et de faire bénéficier l’Organisation des immunités
reconnues aux autres organisations internationales ayant leur siège en France.
En procédant ainsi, l’Organisation a toutefois pris la décision de créer la Commission dans son
ordre juridique interne avant même que la France n’ait approuvé l’accord de siège ou
accepté la prérogative qui lui a été donnée par le règlement interne
d’Interpol, à savoir son droit de nommer un membre de la Commission.
Mais cette prérogative ne
peut pas changer le caractère de l’acte constitutif de la Commission. En
effet, les résolutions de l’Assemblée générale de l’OIPC‑Interpol sont bien des
actes de l’Organisation en tant que telle, mais leur exécution peut être
subordonnée à des mesures qu’un État membre (en l’occurrence l’État du siège)
serait amené à prendre dans son droit interne.
Ce jumelage est connu de la
pratique internationale. Dans de nombreux cas, l’acte juridique émanant de
l’organisation et créant un organe subsidiaire se combine avec les dispositions
d’un accord international. “L’Organisation crée ainsi dans son propre sein un
organe subsidiaire, mais c’est un accord entre États qui institue de nouvelles
obligations et enrichit l’organisme subsidiaire d’une série de compétences et
de fonctions nouvelles14.”
Cette technique de jumelage
d’un organe subsidiaire avec un accord intergouvernemental permet de résoudre
certains problèmes pratiques de la vie internationale15. Afin de démontrer la
justesse de cette analyse, il convient d’identifier la volonté de l’Organisation
telle qu’elle a été exprimée tant dans l’acte constitutif de la Commission que dans son
jumelage avec l’approbation de l’accord de siège.
Un organe subsidiaire créé par un acte unilatéral de l’Organisation
La résolution AGN/51/RES/1 de
l’Assemblée générale de l’OIPC‑Interpol, réunie en sa 51e session à
Torremolinos (Espagne) du 5 au 12 octobre 1982, qui approuvait le
“Règlement relatif à la coopération policière internationale et au contrôle
interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol” et le projet d’accord de siège et
d’échange de lettres entre le gouvernement de la République française et
l’OIPC‑Interpol, présente un grand intérêt au point de vue juridique, car
c’était la première fois que l’Assemblée générale d’Interpol, par simple
résolution, acte unilatéral d’une organisation internationale, décidait la
création d’une entité juridique indépendante.
Le contenu de cette
résolution AGN/51/RES/1 est le suivant :
“2. L’Assemblée générale de
l’OIPC‑ Interpol, réunie en sa 51e session à Torremolinos, du 5 au
12 octobre 1982,
3. AYANT PRIS CONNAISSANCE du rapport
n° 13, présenté par le secrétaire général et intitulé «Règlement relatif à
la coopération policière internationale et au contrôle interne des fichiers de
l’OIPC‑Interpol»,
4. AYANT PRIS ACTE de l’avis du comité «ad
hoc» consulté en vertu de l’article 60 du Règlement général,
5. APPROUVE le projet d’accord de siège tel
qu’il est reproduit à l’annexe 1 du rapport n° 6, ainsi que celui de
l’échange de lettres tel qu’il est reproduit à l’annexe 2 dudit rapport,
6. ADOPTE le texte du Règlement, tel qu’il est
reproduit à l’annexe 1 du rapport n° 13, avec les modifications figurant à
l’annexe 2 dudit rapport.”
Certes, cette résolution a
approuvé l’accord de siège et l’échange de lettres qui y était annexé. Mais
cette approbation a pour effet de créer à la charge de l’Organisation un
engagement dont l’étendue est définie de la manière suivante par l’article 1er
de l’échange de lettres : “En vue du contrôle de ses fichiers,
l’Organisation institue une commission de contrôle.”
Cependant, ladite résolution
est en même temps l’acte constitutif de la Commission dans la
mesure où elle a approuvé le “Règlement relatif à la coopération policière
internationale et au contrôle interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol”,
règlement dont l’article 15 dispose : “Une Commission de contrôle est
instituée en vue du contrôle interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol.”
Ce
règlement ci‑après dénommé “Règlement de coopération”, tel qu’il a été adopté
par l’Assemblée générale de Torremolinos, reprend dans ses articles 15, 16, 17,
21 (4), 22, 23 et 25 (1) les mêmes dispositions que celles des articles 1, 2,
3, 4, 5, 6 et 7 de l’échange de lettres (soit la totalité des dispositions de
cet échange de lettres). En d’autres termes, le contenu des dispositions
essentielles du projet d’échange de lettres a été incorporé à la deuxième
partie du règlement interne d’Interpol, intitulée “Contrôle interne des
fichiers de l’OIPC‑Interpol”, et complété par des dispositions visant à
permettre la constitution de la
Commission.
Le critère organique est dès
lors clairement affirmé : La
Commission est un organe d’Interpol; elle procède de
l’institution elle‑même. Sa création, qui procède d’une délibération de
l’Organisation, se rattache donc à la volonté propre de l’Organisation. Ainsi,
l’organe créé repose sur une autre base juridique que le traité. L’acte
constitutif de la
Commission de contrôle est un acte unilatéral de
l’Organisation.
Dire que la résolution de
l’Assemblée générale d’Interpol est un acte unilatéral de l’Organisation, c’est
dire que les États qui ont participé à la création de la Commission l’ont fait,
non en tant qu’États souverains agissant de manière indépendante, mais en leur
qualité d’États membres de l’Organisation. La résolution est le résultat, non
de la concordance des volontés autonomes des États, mais de la manifestation de
la volonté propre de l’Organisation.
Certes, l’Assemblée générale
d’Interpol n’a aucun pouvoir législatif, du moins vis‑à‑vis des États, que ceux‑ci
soient membres ou non d’Interpol. Ses résolutions ne constituent pas des
traités entre les États membres. Si donc une résolution de l’Assemblée générale
ne peut avoir qu’une force morale envers les États membres, personnes
juridiques distinctes de l’Organisation, il n’en est pas ainsi quant aux effets
produits par une résolution dont le destinataire n’est plus un État membre,
mais les instances politiques de l’Organisation16.
Là où
une résolution a pour objet et domaine d’application, non pas les États et
leurs compétences souveraines, mais l’ordonnancement interne de l’Organisation,
il est indéniable qu’une telle résolution a une valeur juridique obligatoire,
dans la mesure où elle ne dépasse pas les pouvoirs expressément ou
implicitement accordés à l’Assemblée générale par le statut d’Interpol. C’est
dans ce sens que la résolution de Torremolinos n’est pas une simple
recommandation, mais une décision qui a effet obligatoire dans l’ordre
juridique interne d’Interpol. Il est indéniable qu’une telle résolution est
opposable aux organes d’Interpol (Comité exécutif, Secrétariat général).
Cependant, certains
contestent la validité de cette résolution dans la mesure où elle contredit
l’article 5 du statut d’Interpol, qui énumère les organes de l’Organisation, et
l’article 2, qui ne serait pas susceptible d’autoriser l’Organisation à créer en
son sein un organe ayant une finalité de protection de données.
Cette contestation est non
fondée en droit pour les raisons suivantes.
Validité de la résolution de Torremolinos
Ceux qui sont à l’origine de
cette contestation se réfèrent implicitement au projet d’amendement du statut
d’Interpol de 1994 (qui a été abandonné par l’Assemblée générale) pour
interpréter le Statut actuel. Cette méthode d’interprétation juridique paraît
douteuse dans la mesure où l’amendement d’un texte est souvent motivé, non par
l’incapacité de celui-ci à régir les situations courantes ou antérieures, mais
davantage pour des raisons à caractère politique et administratif.
Pouvoirs de l’Assemblée générale
S’agissant du projet de
remplacer l'article actuel du Statut par de nouveaux articles 7 et 10
du Statut amendé, afin d’inclure dans les pouvoirs de l’Assemblée générale la
possibilité de créer des organes subsidiaires et de les considérer comme
organes de l’Organisation (art.7 du projet d’amendement remplaçant l’article 5
actuel), il est certain qu’il visait à améliorer plutôt qu’à nier la capacité
de l’Assemblée de créer de nouveaux organes. Ce projet d’amendement était
motivé surtout par le désir des experts d’Interpol d’éliminer le terme “BCN” de
l’énumération des organes de l’Organisation, tel qu’elle figure dans l’actuel
article 5 du Statut, et de confirmer un principe motivé par l’exposé suivant
d’un des experts (M. Schlanitz, ancien directeur juridique d’Interpol):
“Cet article correspond aux dispositions qui, normalement, comportent une
énumération des organes de l’Organisation. La création d’organes nouveaux par
l’Assemblée générale d’une organisation n’est pas un phénomène inhabituel et
peut être fondée sur la théorie de «pouvoirs implicites».”
Il s’agit donc d’améliorer la
portée d’un texte dans la mesure où la quasi‑ totalité des actes constitutifs
d’organisations internationales contiennent des dispositions selon lesquelles
les organisations pourront à l’avenir créer de nouveaux organes. Même dans le
silence du Statut, on admet qu’une telle compétence fait partie des pouvoirs
imputables à l’organe suprême de l’Organisation et classiquement dénommés
“pouvoirs implicites” de l’Assemblée générale. Que signifie cette théorie?
La théorie des pouvoirs
implicites n’est autre qu’une directive d’interprétation des chartes
constitutives des organisations internationales. En effet, la jurisprudence
internationale, suivant une voie ouverte par la Cour permanente de justice internationale, a été
amenée à interpréter de façon très libérale les compétences des organes
principaux des Nations Unies pour créer des organes subsidiaires. Se référant à
la notion de compétence fonctionnelle et au caractère téléologique des
compétences de l’Organisation, la
Cour internationale de justice trouve un fondement juridique
au mandat d’un organe subsidiaire non pas dans une disposition textuelle de la Charte mais, au delà des
textes, dans des notions qui sont au cœur même de l’institution : le
caractère impératif des fins poursuivies par l’Organisation des Nations Unies,
et l’ampleur des fonctions assurées par les organes principaux au service de
l’Organisation elle‑même.
Ainsi, dans l’avis de 1949, la Cour utilise la notion de
compétence fonctionnelle pour légitimer, en dehors de tout texte explicite, la
création d’un Médiateur pour la
Palestine, organe subsidiaire du Conseil de sécurité.
(11 avril 1949, Recueil CIJ, p. 177 : “Selon le droit
international, l’Organisation doit être considérée comme possédant ces pouvoirs
qui, s’ils ne sont pas expressément énoncés dans la Charte, sont par une
conséquence nécessaire conférés à l’Organisation en tant qu’essentiels à
l’exercice des fonctions de celle‑ci.”)
A la
lumière de la pratique suivie et des indications fournies par deux avis
importants de la Cour
internationale de justice (l’avis de 1949 sur la réparation des dommages subis
au service des Nations Unies, et l’avis de 1954 sur les effets des jugements du
Tribunal administratif des Nations Unies17), il résulte que la théorie des
compétences fonctionnelles de l’Organisation fournit la meilleure explication
et de l’étendue et des limites des fonctions déléguées aux organes subsidiaires
des organisations internationales à l’occasion de leur création par une
manifestation de volonté de leur assemblée générale.
Les normes créées par cette
jurisprudence internationale sont opposables à l’OIPC‑Interpol si l’on admet
que cette dernière est une organisation internationale intergouvernementale.
Il en est de même pour les
pouvoirs de l’Assemblée générale d’Interpol — organe suprême de l’Organisation
— qui est habilitée à créer la
Commission de contrôle interne des fichiers en l’absence de
tout texte exprès à ce sujet dans les articles 5 et 8 de l’actuel
Statut.
Ceci dit, la création de
cette commission est‑elle compatible avec les objectifs de l’Organisation?
Certains nient cette
compatibilité. Ils considèrent que l’article 2 du Statut ne serait pas
susceptible d’autoriser l’Organisation à créer en son sein un organe ayant une
finalité de protection de données. Cette thèse est également non fondée en
droit.
Compatibilité des fonctions de la Commission avec
l’article 2 du Statut
L’argument de ceux qui
soutiennent l’incompatibilité des fonctions de la Commission avec
l’article 2 du Statut consiste à dire que cet article (notamment 2.b) relatif
“à l’établissement et au développement de toutes les institutions capables de
contribuer efficacement à la prévention et la répression des infractions de
droit commun” n’a rien à voir avec l’institution de la Commission de contrôle,
dont le but est de “protéger contre tout abus les informations de police
traitées et communiquées au sein du système de la coopération policière
internationale mis en place par l’OIPC‑Interpol, notamment en vue de prévenir
toute atteinte aux droits des individus” (article 1er, alinéa 2, du
Règlement relatif à la coopération policière internationale et au contrôle
interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol, qui précise le but même de ce
Règlement).
Cet argument contredit la
définition même du principe de spécialité des organisations internationales et
crée une séparation imaginaire entre la finalité d’un contrôle et les fonctions
ou les objectifs de l’Organisation et de ses organes. Il permet d’ailleurs, par
sa propre contradiction, de renforcer la théorie des “pouvoirs implicites” de
l’Assemblée générale par un argument de texte, à savoir l’article 2.b du
Statut, qui autorise expressément l’Organisation à créer des institutions
nouvelles, dans le strict respect de la compétence de ladite Organisation.
Pour réfuter cette
argumentation, il est indispensable d’affirmer que la notion de “pouvoirs
implicites” ou celle de “compétence fonctionnelle” ne légitime pas la création
et l’attribution de n’importe quelles fonctions par un organe principal
(assemblée générale, etc.) à un organe subsidiaire. Les organes subsidiaires ne
peuvent assumer aucune tâche étrangère ou non essentielle aux fonctions de
l’organisation. C’est le statut lui‑même qui fixe les limites de ces fonctions
essentielles.
Or, la première question qui
se pose est relative à une appréciation plus précise de la compétence de
l’OIPC, puisque c’est cette compétence qui constitue la base juridique
essentielle de l’activité de l’Organisation. Le seul texte qui porte sur cette
compétence est l’article 2 du Statut qui dispose :
“L’Organisation a pour but :
a) d’assurer et de développer l’assistance
réciproque la plus large de toutes les autorités de police criminelle dans le
cadre des lois existant dans les différents pays et dans l’esprit de la Déclaration
universelle des droits de l’homme;
b) d’établir et de développer toutes les
institutions capables de contribuer efficacement à la prévention et à la
répression des infractions de droit commun.”
Si l’on prend ce texte au
pied de la lettre, notamment son paragraphe b), on ne voit pas de limite aux
questions de coopération policière (réserve faite de celle indiquée par
l’article 3 du Statut). Parmi ces questions figurent tous les problèmes de
protection des données dont la solution ne peut être que conforme à l’esprit de
la Déclaration
universelle des droits de l’homme.
En d’autres termes, si le but
recherché par le règlement de coopération policière internationale est d’éviter
toute atteinte aux droits des individus dans le cadre du traitement et de l’échange
d’informations de police, et si ce but se confond avec celui à l’origine de la
création de la Commission
de contrôle, il ne peut se reposer que sur l’article 2 du Statut, qui n’admet
pas que la coopération policière puisse s’effectuer par l’intermédiaire de
l’OIPC‑Interpol sans respect des droits de l’homme.
Aussi
les fonctions déléguées à la
Commission de contrôle à l’occasion de sa création par une
manifestation de volonté de l’Organisation sont‑elles enracinées dans les
fonctions principales de l’Organisation elle‑même, telles qu’elles sont
énoncées à l’article 2 du Statut. “Prévenir toute atteinte aux droits des
individus” par la création d’une commission de contrôle des fichiers détenus
par l’Organisation n’est qu’une fonction subsidiaire conférée nécessairement à
l’Organisation afin que celle‑ci puisse assurer efficacement la coopération
indispensable à la prévention et à la répression des infractions de droit
commun, à l’exclusion de toute coopération portant sur des affaires politiques
ou en violation des droits de l’homme.
Cette interprétation est
consolidée par l’article 8, paragraphes b) et d) du Statut, qui délimite les
compétences de l’Assemblée générale de la manière suivante :
“b) fixer les principes et édicter les mesures
générales propres à atteindre les objectifs de l’Organisation, tels qu’ils sont
énoncés à l’article 2;
(...)
d) fixer les dispositions de tout règlement
jugé nécessaire.”
Ces pouvoirs explicites
attribués à l’Assemblée générale, et qui s’ajoutent à ses pouvoirs implicites
de créer des organes subsidiaires non énumérés à l’article 5 du Statut, ont été
exercés par l’Assemblée générale d’Interpol en vue d’adopter la résolution de
1982 créant la Commission
de contrôle des fichiers, par l’adoption du Règlement coopération
(article 15 déjà cité dudit règlement) dans le strict respect de l’article
2 du Statut.
Cette interprétation de
l’article 2 du Statut est également celle du professeur Reuter, expert de droit
international mondialement connu. Consulté par l’Organisation en 1980, avant
même la conclusion de l’accord de siège avec la France, le professeur
Reuter a déclaré dans son expertise sur la nature juridique de l’OIPC‑Interpol :
“L’article 2 du Statut est conçu en termes très larges, puisque dans le champ
particulier de l’activité de l’Organisation, compte tenu de la restriction
mentionnée à l’article 3 du Statut, ce texte emploie des termes qui soulignent
particulièrement son rôle actif : l’OIPC «assure» l’assistance, elle
«établit (...) toutes les institutions capables de contribuer efficacement à la
prévention et à la répression des infractions de droit commun». Sans doute faut‑il
que l’Assemblée prenne les mesures nécessaires et décide notamment, le cas
échéant, d’affecter des ressources financières à ses projets, mais l’article 8
qui concerne ses fonctions est également conçu en termes très larges, et l’on
peut relever en passant que les délibérations de l’Assemblée sont, sauf pour la
révision des Statuts et le Règlement général, adoptées à la majorité simple.
Ceci veut dire, de l’avis du conseil soussigné, que rien dans les actes
constitutifs n’interdirait à l’OIPC de créer par exemple en dehors de l’État du
siège des bureaux ou des relais techniques.”
Il est clair que la
compétence de l’Organisation telle qu’elle a été analysée ci‑dessous confère à
celle-ci les pouvoirs nécessaires pour créer une commission interne et
indépendante de contrôle des fichiers par une résolution de son Assemblée
générale.
Conséquences de l’acte constitutif de la Commission
Il est à noter que la
création de la Commission
ne peut pas entraîner automatiquement la création de nouvelles obligations pour
les États membres, obligations qu’ils n’ont pas contractées, ni explicitement
ni implicitement, en adhérant au Statut.
Respect du Statut
A la
différence d’une institution spécialisée (organe externe), l’acte constitutif
de la Commission
de contrôle est nécessairement circonscrit à l’obligation de son auteur de se
conformer aux dispositions du statut d’Interpol. Il en va de même pour les
actes juridiques que la
Commission, à son tour, est autorisée à faire en vertu de
cette résolution. La
Commission ne peut donc assumer aucune tâche étrangère ou non
essentielle aux fonctions de l’Organisation. C’est le Statut lui‑même qui fixe
les limites de ces fonctions essentielles, et c’est le Règlement de coopération
qui fixe les modalités de contrôle et les attributions de la Commission, son mandat
et ses compétences réglementaires.
Absence de personnalité juridique
Bien que la personnalité
juridique internationale ne soit pas définie par des critères parfaitement
fixes, on peut affirmer toutefois que la Commission créée par une manifestation de volonté
de l’Organisation et non par un accord intergouvernemental ne saurait prétendre
à la plénitude de la personnalité juridique internationale. La Commission reste donc
partie intégrante de l’Organisation, dont le budget doit refléter les besoins
de cette commission pour mener à bien ses fonctions.
Sur le plan du droit interne
français, la Commission
ne bénéficie pas non plus de la personnalité juridique. Le statut international
qui est celui de l’Organisation elle‑même dans le droit national concerné
s’étend aux organes subsidiaires : entité engageant la responsabilité de
l’Organisation.
Dissolution par la volonté de l’Organisation
On peut relever une troisième
conséquence qui découle du caractère unilatéral de la création de la Commission de
contrôle : celle‑ci peut être dissoute par un acte unilatéral de l’organe
qui serait compétent pour le faire, à savoir l’Assemblée générale. La
dissolution devrait se faire en principe par le même genre d’acte qui créa la Commission, à savoir
une résolution.
Les conditions de suppression
de la Commission
sont symétriques aux conditions de création : la suppression résulte d’une
manifestation de volonté de l’organe principal créateur. Si l’Organsiation
décide de la suppression de la
Commission, elle viole un engagement international et crée un
litige international à résoudre par arbitrage. Mais cette situation ne
restreint pas l’indépendance de l’Organisation, qui reste libre un jour de
déménager du territoire français vers un autre territoire. A cet égard, son
accord de siège avec la France
devient caduc, et il est absurde de soutenir que l’échange de lettres (qui est
un accord international indépendant de l’accord de siège) serait applicable en
tant qu’acte constitutif de la
Commission.
Cela dit, si l’Organisation
quitte le territoire français, elle peut légalement maintenir la Commission de contrôle
en tant qu’organe de l’Organisation et continuer à lui attribuer ses fonctions
soit dans sa composition d’origine soit en remplaçant le représentant français
par un autre représentant élu par l’Assemblée générale elle‑même. En tout état
de cause, l’Organisation a toujours cherché à élargir les fonctions de la Commission au lieu de
les restreindre.
Fonctions de la
Commission en tant qu’organe subsidiaire de l’Organisation
C’est un organe chargé
d’enquêter et d’apprécier l’application des normes internes aux cas des
individus. Ses normes sont celles du droit interne de l’Organisation telles
qu’elles sont complétées par les principes généraux de droit. La Commission peut
interpréter les textes nécessaires à l’exercice de ses fonctions de contrôle.
En cas
de différence d’interprétation, le Comité exécutif est chargé par les textes
d’arbitrer entre la
Commission de contrôle et le Secrétariat général. L’Assemblée
générale reste toutefois l’organe compétent pour prendre toutes les décisions
opposables à la Commission
en matière d’interprétation.
La mission de la Commission est
permanente. Elle a été consolidée par d’autres résolutions relatives aux
fichiers hors siège. En effet, des accords de siège ont été signés avec les
gouvernements ivoirien, argentin et thaïlandais. Ces accords ne comportaient
aucune disposition spéciale quant au contrôle des fichiers des bureaux sous‑régionaux
implantés dans les pays hôtes.
Bien que l’Organisation ait
été libre de soustraire ces bureaux aux modalités de contrôle interne de
l’échange de lettres avec le gouvernement français en raison de la
territorialité dudit accord18, elle a choisi de les soumettre à la compétence
de la Commission
de contrôle actuelle, sans créer d’autres organes régionaux subsidiaires.
Le texte de la résolution
relative à la “Protection des données : informations de police
enregistrées auprès des structures déconcentrées du Secrétariat général”, qui a
été votée par l’Assemblée générale de Punta Del Este en 1991, se lit comme suit :
“1. Conformément à l’article 25 du Statut, les
services permanents de l’Organisation constituent le Secrétariat général. Les
services de l’Organisation hors siège, à savoir, dans l’état actuel, les
bureaux sous‑régionaux, font donc partie du Secrétariat général et constituent
des structures déconcentrées de celui‑ci.
Ces structures déconcentrées enregistrent ou
sont susceptibles d’enregistrer des informations de police, y compris des
informations à caractère personnel. Cela soulève par conséquent le problème de
la protection des données.
Des commissions de contrôle pourraient être
créées auprès de chacune de ces structures. En outre, il se poserait un
problème de cohérence des décisions dans la mesure où les avis des commissions
relatifs aux mêmes données enregistrées au siège et hors siège pourraient être
divergents.
Au vu de ce qui précède, l’Assemblée générale
adopte les directives suivantes :
1. Les informations de police enregistrées
auprès des structures déconcentrées du Secrétariat général doivent également
être enregistrées au siège de l’Organisation.
2. La modification ou l’annulation des
informations enregistrées au siège de l’Organisation en vertu du principe
énoncé au point (1) ci‑dessus doit entraîner la modification ou l’annulation
desdites informations dans les structures déconcentrées.
Le contrôle des informations de police
enregistrées au siège de l’Organisation étant de la compétence de la Commission de contrôle
interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol, le Secrétariat général est invité à
examiner avec ladite commission les modalités permettant de contrôler le
respect des principes énoncés aux points (1) et (2) ci‑dessus.”
Relations entre la Commission et les autres organes de l’Organisation
L’acte unilatéral créant la Commission est
imputable de manière immédiate à l’Assemblée générale, et de manière générale à
l’Organisation. L’Assemblée générale n’est que l’organe autorisé.
Il est admis que l’organe
principal qui donne le jour à un organe subsidiaire peut attribuer toutes les
fonctions relatives au contrôle et à la modification du mandat de celui‑ci à un
autre organe principal.
Le point de vue que nous
soutenons s’appuie surtout sur la jurisprudence de la Cour internationale de
justice. La Cour,
dans son avis consultatif sur les indemnités accordées par le Tribunal
administratif des Nations Unies, a expressément réfuté la thèse d’après
laquelle l’Assemblée générale des Nations Unies, en établissant le Tribunal,
lui a délégué l’exercice de ses propres fonctions. Après avoir examiné la
situation du Tribunal dans le cadre de l’ensemble de la Charte et de l’Organisation,
la Cour a conclu
qu’il s’agissait d’un organe “judiciaire” créé par les Nations Unies pour
régler les différends entre le secrétaire général et les fonctionnaires de
l’Organisation19.
Il serait donc inexact de
définir la Commission
comme organe subsidiaire de l’Assemblée générale d’Interpol ou du Comité
exécutif. Il s’agit d’un organe subsidiaire de l’Organisation tout entière. Si
l’Assemblée l’a créé, elle l’a fait non pas pour réaliser ses propres fins,
mais pour réaliser les fins d’Interpol en tant que service public
international.
Or, l’Assemblée générale
d’Interpol n’a pas voulu donner une délégation spéciale au Comité exécutif à ce
sujet, sauf pour le renouvellement de son mandat et les modifications et
résultats du contrôle de ladite commission. A cet égard, la Commission soumet un
rapport au Comité exécutif. Elle peut donc être invitée à défendre son rapport
devant cet organe.
Quant à ses relations avec le
Secrétariat général, la
Commission est en droit d’obtenir un concours dont les termes
sont conçus de manière très large (affectation de personnel, facilités d’accès
aux fichiers, pouvoir d’entendre les fonctionnaires, consultation du Comité
exécutif, etc.).
Il en résulte que l’Assemblée
a délégué à ses organes principaux (Comité exécutif, secrétaire général)
certains devoirs et obligations dans le cadre d’une relation tripartite entre
le Comité exécutif, le secrétaire général et la Commission elle‑même,
afin que le contrôle des fichiers soit efficace et indépendant.
Souheil EL ZEIN*
* Il s'agit d'un article publié en 2000 à la Revue Internationale de Police Criminelle sous le titre de: "Nature
juridique de la Commission
de contrôle des fichiers de l'OIPC-Interpol, S. El Zein, n° 480
(janvier-février 2000), p. 2."Depuis, il y a eu un amendement de l'accord de siège avec la France et un autre concernant les modalités de contrôle et la réglementation interne sur la coopération policière internationale. Cependant, les grandes lignes des fonctions et tâches de cette Commission n'ont pas altérées et cet article a encore sa valeur d'actualité. Pour actualiser vos connaissances sur ce sujet,Cf.
Notes
1. PEZARD Alice, L’OIPC‑Interpol
et son accord de siège, AFDI, 1983, p. 565. L’auteur constate un précédent
international incomparable en matière de contrôle des fichiers et des
informations détenus par une organisation internationale. Voir le discours de
M. Mitterand, président de la République française, lors de l’inauguration du
siège d’Interpol à Lyon, discours au cours duquel il a qualifié le “dispositif”
mis en place pour le contrôle des fichiers d’interpol d’“innovation en droit
international dont les auteurs ont droit d’en être fiers”. Revue internationale
de police criminelle, n° 421, 1989, p. 4 et suiv.
2. GREILSAMER Laurent,
Interpol : le siège du soupçon, Ed. Alain Moreau, p. 260, 1986.
3. RUZIE David,
L’Organisation internationale de police criminelle, AFDI, 1956, pp. 673 à 679;
— MASSE Michel, “Droit pénal international : l’OIPC‑Interpol”, Revue de
science criminelle et de droit pénal comparé, 1984, p. 376.
4. THIRION S., rapport de
stage, Paris I, 1989, p. 48.
5. Lors du débat consacré au
projet de loi n° 354 proposant l’approbation de l’accord de siège entre
l’OIPC‑Interpol et le gouvernement français, M. Guy Ducoloné, parlant au
nom du groupe communiste à l’Assemblée nationale, et M. Marc Lauriol,
parlant au nom du groupe du Rassemblement pour la République, ont émis
des réserves sur les modalités de mise en œuvre de ce dispositif de contrôle
des fichiers d’Interpol. Voir séance de l’Assemblée nationale du
28 novembre 1983, J.O. 1984.
Voir également l’ouvrage de
Laurent Greilsamer, op. cit., p. 260, 1986.
Un groupe
parlementaire européen a présenté deux projets de résolution à l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe en vue de soumettre l’OIPC‑Interpol
(qualifiée d’organisme privé) à un “contrôle établi en étroite liaison avec les
tribunaux internationaux et les Nations Unies” ou au “contrôle de la Cour internationale de
La Haye”. Ces deux projets (document n° 6081/1989 et document
n° 6179/ 1990) mettant en question l’existence même de la Commission de contrôle
et comportant des qualifications juridiques contradictoires ont été rejetés par
le Bureau de l’Assemblée parlementaire.
6. REUTER Paul, “Des organes
subsidiaires des organisations internationales”, in Hommage d’une génération de
juristes au président Basdevant, Paris, Pedone, 1958, p. 423.
7. VALLEIX Claude, RGDIP n°
3, 1984, p. 650.
8. VALLEIX Claude, RGDIP n°
3, 1984, p. 651.
9. Ce fut le cas dès 1946 du
Comité central permanent de l’opium et de l’Organe de contrôle des stupéfiants.
Ces organes diffèrent des organes subsidiaires en ce que leur mandat, ayant été
fixé par un traité, ne peut être modifié par un organe principal des Nations
Unies. Ces deux organes ont été remplacés, à partir de l’entrée en vigueur, le
13 décembre 1964, de la
Convention unique sur les stupéfiants de 1961, par un organe
unique de contrôle des stupéfiants qui a conservé les caractéristiques de ses
prédécesseurs. Créé par accord intergouvernemental, il lui manque le trait
essentiel des organes subsidiaires, qui est de résulter d’une manifestation de
volonté de l’ONU, bien que son fonctionnement apparaisse étroitement lié à
celui de l’Organisation des Nations Unies. (Voir les commentaires de
Mme Dutheil de la Rochère,
in “La charte des Nations Unies: commentaire article par article”, dir. coll.
Pellet, Economica, 1991, p. 215.)
10. Voir les rapports
n° 6 et n° 13 présentés à l’Assemblée générale de Torremolinos
(octobre 1982), où les projets de résolutions étaient annexés.
11. Résolution AGN/51/RES/1
de l’Assemblée générale de Torremolinos (octobre 1982). Voir également la
documentation relative à la 3e séance plénière de la 51e session de l’Assemblée
générale (1982).
12. Présentation du rapport
n° 13 à l’Assemblée générale de Torremolinos, et du projet intitulé
“Règlement relatif à la coopération policière internationale et au contrôle
interne des fichiers de l’OIPC‑Interpol”.
13. Rapport n° 7 de
l’Assemblée générale d’Interpol (50e session) tenue à Nice (France) en 1981.
Lors de cette assemblée, le groupe de travail a eu conscience des problèmes qui
risquaient de se poser à l’occasion de l’application de lois nationales sur la
protection des données. Or, la mise en place d’un système informatique
international est de nature à poser des problèmes quant à l’application des
lois nationales sur la protection des données et des libertés individuelles. Le
groupe de travail a également énoncé certains principes pouvant permettre de
cadrer avec les lois des pays possédant une telle législation. C’est à cette
assemblée que le premier projet de règlement interne sur le contrôle des fichiers
d’Interpol a été présenté et discuté, avant qu’il soit modifié en 1982.
14. REUTER Paul, op. cit.,
p. 423.
15. Ce fut ainsi le cas du
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, dont la création a eu
lieu par la même résolution qui a ouvert à la signature et à la ratification la Convention
internationale sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale. Ce
cas semble le plus proche de celui de la Commission de contrôle, dont la création a
coïncidé avec l’approbation, non pas d’une convention multilatérale, mais d’un
traité bilatéral, à savoir l’accord de siège projeté avec la France. Afin de
démontrer la justesse de cette analyse, il convient d’identifier la volonté de
l’Organisation telle qu’elle a été exprimée tant dans l’acte constitutif de la Commission que dans son
jumelage avec l’approbation de l’accord de siège.
16. Rousseau, Traité de DIP,
Vol. OI P.
17. MISCONI, thèse, Paris,
1963.
18. D’une manière générale,
l’application d’une disposition spéciale d’un échange de lettres sur les
fichiers détenus par le Secrétariat général en dehors de l’État concerné ne se
présume pas et devrait se fonder sur une disposition expresse qui fait défaut
dans le cas présent.
19. REUTER Paul, op. cit.,
p. 423.
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