Sunday 13 October 2013

L’ETHIQUE DANS LES RELATIONS INTERNATIONALES.





 éthique : Échelle de justice de la loi en métal chromé sur un fond de ciel comme un symbole du système juridique au sein du gouvernement et de la société en faire respecter les droits et règlements

INTRODUCTION


Peut-on encore concilier Kant avec Machiavel ou le droit international avec l’éthique dans un monde qui n’a plus le choix que d’entamer sa réflexion éthique profonde face à la globalisation des risques nés du recul de la paix par le droit, de la prédominance du concept universel de marché [avec ses implications sur le marché de l’éthique utilitariste], de l’émergence des règles du jeu des sociétés multinationales financières, pétrolières et industrielles, des mafias, des sectes et du fondamentalisme religieux, et, enfin, de la multiplication de la pauvreté et de la corruption ?

Ces défis dont certains ont survécu à la fin de la guerre froide et de la période coloniale persistent encore et s’amplifient d’autres nés des dérives du progrès scientifique et technologique qui menacent l’environnement naturel, les espèces vivantes, les relations pacifiques entre les Etats, les droits de l’homme, voire l’humanité tout entière ?

Beaucoup d’éthiciens redoutent de la capacité de la communauté internationale à les relever de manière éthique en raison des failles structurelles de la société internationale composée d’acteurs étatiques inégaux et antagonistes, ainsi que d’acteurs non étatiques qui compliquent davantage la donne. Ainsi, dans le Dictionnaire de l’éthique et des sciences morales. Ed. PUF, p 1364 de 1996, le professeur Pierre Hassner évoque l’éclatement et la misère des éthiques internationales, y compris celle des acteurs non étatiques qui pratiquent ce qu’il qualifie d’éthique humaniste de spectacle qui réagit avec efficacité seulement en cas de grande catastrophe naturelle ou de maladies.

Des juristes partagent cet avis.  Pour eux, il n’y a que les intérêts économiques et politiques qui prédominent les rapports entre les Etats qui n’hésiteront pas à l’usage de la force brutale pour maintenir l’ordre juridique qui leur est favorable. Ainsi, ni la nature ni la structure ni les acteurs de ces relations internationales ne sont disposés à tenir compte des considérations éthiques, encore moins d’une éthique universelle.   

Mais si nous admettons ce constat en ce qui concerne la place de l’éthique dans les relations internationales, nous risquons fort bien de constater également le manque de crédibilité du droit international lui-même, car ses violations marquent les annales juridiques. En effet, le droit international actuel, du fait de son non-institutionnalisation hiérarchique et de la dispersion de ses processus normatifs paraît encore fragmentaire, asystématique, contradictoire et lacunaire, puisque aucune autorité supérieure n’exerce le pouvoir de lui donner un ordonnancement cohérent. Ce défaut ou handicap d’origine peut influencer la  mise en application de la sanction de la violation de la norme internationale, mais ne peut pas aboutir à nier l’existence du droit international. 

En d’autres termes, si l’on fait le bilan de ce qui éthique ou non éthique, légal ou illégal dans les relations internationales à l’aube de ce 21ème  siècle, on risque de rencontrer ces mêmes problèmes de structure de la société internationale, sans avancer davantage sur l’analyse de la relation dialectique très compliquée entre le droit et l’éthique au niveau international.

Par ces réflexions préliminaires, il ne s’agit pas de prouver à tout prix que les relations internationales possèdent dans la cité globale de l’éthique un quartier spécifique dont l’existence serait équivalente à celle d’autres  éthiques internes spécialisées comme l’éthique des affaires, l’éthique médicale ou l’éthique des médias. Il s’agit en fait de lire le droit international à la recherche de la place de l’éthique dans les relations internationales, puis, de tenter de comprendre les rapports heureux ou malheureux entre ce droit et la réflexion éthique qui, aminée par des principes tels que la justice distributive, l’intérêt général commun de l’humanité, la responsabilité des acteurs, cherche soit, à critiquer la stagnation dudit droit, soit, à proposer des principes non encore dégagés par la jurisprudence comme en matière de la bioéthique, de la dissuasion nucléaire et de la protection de l’environnement, pour ne citer que ces exemples.
D’où ma première partie qui vise à identifier la place de l’éthique à l’ombre du droit, sans négliger l’analyse des tensions et des points d’achoppement entre l’éthique et le droit international.  En effet, la généralité du droit international laisse à son ombre la généralité d’une éthique transversale qui passe par tous les sujets qui relèvent de l’une des deux fonctions primordiales dudit droit, à savoir : la fonction d’assurer la coexistence des Etats telle qu’elle est « réglementée » par le droit de l’ONU et la coutume, et la fonction de la coopération interétatique destinée à réaliser des objectifs communs fixés soit, dans les actes constitutifs des organisations internationales spécialisées, soit par des conventions bilatérales ou multilatérales créant soit des obligations réciproques, soit des obligations erga omnes.

Quant à la deuxième partie, elle portera sur la coexistence entre l’éthique et le droit international  surtout quand l’inflation de ses normes et le manque d’efficacité de la coopération de ses sujets ne permettent pas d’atteindre les objectifs fixés - maximaliser les effets bénéfiques de la coopération internationale entre les Etats ou n’arrivent pas au moins à réduire les pratiques néfastes. C’est dans ce contexte que le droit international cède lui-même la place aux codes d’éthiques ou accepte la co-régulation internationale visant à la fois les acteurs étatiques et les acteurs non étatiques.


I.                   L’ETHIQUE A L’OMBRE DU DROIT INTERNATIONAL


S’il est vrai que le droit international  n’est pas per se une institution destinée à la seule promotion de la moralité ou de l’éthique, il est également vrai que l’évolution dudit droit a été fortement marquée par l’emprise de l’éthique sur le contenu de beaucoup de conventions internationales, notamment par la prise de conscience juridique et son éveil universel après la deuxième guerre et la période coloniale.

A) La dilution de l’éthique dans le droit et par le droit

En effet, les normes juridiques ne sont pas des expressions de la seule logique formelle. Ce sont aussi des instruments empiriques destinés à la régulation internationale. Elles ont elles-mêmes une histoire: elles sont l’expression de choix politiques, morales et éthiques qui ont des implications sur leur dynamique propre qui ne peut en aucune manière laisser l’Etat, en tant que membre de la communauté internationale, indifférent à leur origine éthique.

Soutenir dans ce contexte le dogme d’incompatibilité ou d’incommunicabilité entre les rouages de l’éthique et ceux du droit international classique va à l’encontre même de l’histoire des relations internationales à l’issue de la deuxième guerre mondiale et de la période coloniale, d’autant plus que cette incompatibilité ne se vérifie ni dans la codification dudit droit ni dans sa mise en application ou sa remise en cause.

L’étude de l’évolution du droit des Nations Unies et de ses agences spécialisées depuis 1945, donne de multiples illustrations sur les interférences entre l’éthique et ses traductions juridiques. 

Ces interférences se sont manifestées de plusieurs manières :
-          En premier lieu, dans la justification éthique des conventions du droit humanitaire au sens large du terme (a)
-          En second lieu, quand l’éthique devient porteuse de nouveaux concepts juridiques tels que le crime contre l’humanité, le génocide et le patrimoine commun de l’humanité (b) ; et
-          En troisième lieu, au niveau institutionnel par la prédominance de la charte de l’ONU et la création récente de la Cour pénale internationale (c) ;

a) L’éthique de la guerre et le droit international humanitaire des droits de l’homme 

L’histoire du droit humanitaire et des droits de l’homme est indissociable dans la mesure où les deux cherchent à sauvegarder la vulnérabilité de l’homme dans des situations de paix ou de guerre pour lui assurer un certain nombre de droits liés à sa dignité en tant qu’être humain.

Le souci éthique qui doublait le souci hautement humanitaire de réaliser un minimum de justice, d’humanité et d’égalité universelle se révèle également dans les conventions de l’ONU de 1948 et 1949 visant à l’abolition de l’esclavage et de la discrimination raciale. Il en est ainsi dans toutes les codifications où sont occultées les dimensions éthiques délaissées dans les analyses préoccupées par les aspects formels du droit international.

A titre d’exemple spécifique, le principe de la vulnérabilité humaine, en rapport avec les valeurs éthiques de la responsabilité sociale, de la solidarité et de la protection du faible, a été pris en considération par les conventions de l’ONU portant sur le statut des réfugiés et des apatrides de 1951, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979), la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.[1]

Quant à l’éthique de la guerre où le respect des droits de l'homme n'est plus assuré, elle est intégrée dans les quatre Conventions de Genève adoptées le 12 août 1949 qui deviennent la référence minimale pour ceux ou celles qui sont tombés au pouvoir de l'ennemi ou qui subissent les conséquences directes des conflits armés. Elles ont été depuis augmentées de deux Protocoles additionnels, adoptés le 8 juin 1977.

Cherchant à épargner les populations civiles et les belligérants blessés ou capturés, sans discrimination entre amis et ennemis, les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels sont l’exemple typique sur l’éthique humanitaire de la générosité.

On les reproche de s’être trop préoccupé d’humaniser la guerre[2], ce qui est perçu comme paradoxal dans l’inconscience humaine animée par le désir de survie au détriment de l’ennemi par tous les moyens, y compris d’exclure cet ennemi du genre humain. Et pourtant, leur codification correspond à une prolongation du droit international coutumier cherchant à assurer la prise en compte des considérations éthiques prescrivant des restrictions aux certains concepts politiques admettant de facto que les fins justifient les moyens.

C’est dans ce sens qu’il faudrait également interpréter l’évolution ultérieure du droit international pour bannir les armes chimiques par la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques (CIAC).
Celle-ci a même donné lieu à la création d’une nouvelle organisation intergouvernementale intitulée l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des Armes chimiques) [3]  qui est chargée de veiller à l'application de la Convention au niveau international[4].

b) L’éthique et le crime contre l’humanité, le génocide et le patrimoine commun de l’humanité

Si les juristes doutent de la valeur juridique de certains termes tels que la communauté internationale  ou l’humanité, ils ne contestent pas des concepts tels que de crimes internationaux ou celui du patrimoine commun de l’humanité.

Il s’agit en fait de traiter deux notions juridiques construites en réaction à la perception des dangers réels et des bénéfiques potentiels des actions humaines qui peuvent conduire soit à l’autodestruction d’une partie de l’humanité, soit à sa solidarité morale en vue de  vivre en harmonie avec ses propres composantes et avec son environnement naturel. 

-         la notion de crime contre l’humanité et de génocide :

La prise de conscience des peuples animés par le devoir moral et éthique envers les victimes de la deuxième guerre mondiale et de la période coloniale a été également à l’origine des notions comme celle du crime contre l’humanité et le génocide.

Qu’il suffise de se référer aux propos de la Cour internationale de Justice dans l’affaire des Réserves à la convention pour la répression du crime de génocide (Receuil, 1951, p 23) pour s’en convaincre encore plus dans la mesure où la Cour a dit que « les origines de la convention révèlent l’intention des Nations Unies de condamner le génocide comme un crime de droit des gens impliquant le refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité et qui est contraire à la fois à la morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies. ».

Mis à part les nuances entre le génocide et la notion du crime contre l’humanité, l’extension de celle-ci à certaines situations d’occupation ou même de paix et l’inclusion en son sein de l’interdiction de l’esclavage et le viol pratiqué à l’encontre de certaines catégories de personnes, constituent un développement important dans la consécration du concept de l’humain sur le plan juridique.

Mais si la notion de crime contre l’humanité décèle le mal à bannir de la conduite humaine, y compris la réduction de l’homme à l’esclavage ou d’autres actes inhumains, celle de patrimoine commun de l’humanité relève du potentiel du bien-être idéal, pivot de toute réflexion éthique.

-         la notion de patrimoine commun de l’humanité :

L’utilitarisme en tant qu’éthique économique a imprégné les règles internationales relatives au statut des espaces, particulièrement ceux dits « libres de toute juridiction  étatique », dont l’existence même se révèle à travers des concepts créés en vue d’une exploitation économique possible : témoin le célèbre « patrimoine commun de l’humanité ».


Les exemples typiques sur la mise en œuvre de ce concept sont les conventions relatives au Statut de l’Antartique, des fonds marins, la lune et plusieurs conventions ratifiées sous l’égide de l’UNESCO. [5]

Même si les manifestations juridiques de cette notion de « patrimoine commun de l’humanité » sont encore limitées, elles appellent de facto à l’évolution du rôle de l’Etat sur la scène internationale : de souverain aux privilèges patrimoniaux, il doit devenir le gardien de ressources au bénéfice de l’humanité en son entier. Il doit de ce fait rendre des comptes dans des domaines liés à l’exploitation de ressources naturelles, domaines qui traditionnellement relevaient de sa compétence « interne » ou de son « domaine exclusive ».

Ainsi en est-il dans les domaines de la gestion de certaines zones spécifiques de la terre (les forêts et le droit de l’environnement), de certains biens en raison de leur valeur historique ou culturelle, de l’accès à l’espace, et bientôt des domaines tels que l’exploitation du pétrole et de l’eau, sans omettre les ressources génétiques animales ou humaines.

c)      au niveau institutionnel

Dans son cours à l’Académie de droit international sur « l’unité de l’ordre juridique international », le professeur J.M.Dupuy, décèle la double nature de la Charte de l’ONU : loi juridique, mais également loi éthique.[6]En affirmant les droits des peuples, au nom desquels elle est proclamée, en soulignant la liaison fonctionnelle établie entre droits de l’homme, développement économique et maintien de la paix, la Charte de l’ONU manifeste à la fois des priorités normatives et une certaine logique d’implication systématique et humanitaire de l’intérêt général commun. 

Il en résulte, selon lui, une nouvelle dynamique, non plus formelle, mais également substantielle et éthique[7], d’autant plus que l’impérativité du jus cogens et la priorité d’application de l’article 103 de la Charte en cas de conflit avec d’autres conventions, viennent au secours de plusieurs valeurs universelles en rapport avec l’éthique.

Dans le même sens, l’acte constitutif de l’UNESCO propose à l’organisation d’être le lieu de « la collaboration entre nations [..] afin d’assurer le respect universel »  de ce que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples. Or quand il s’agit d’identifier ce que la Charte de l’ONU a proclamé au nom de ces peuples, on trouve « leur foi dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans les droits de l’homme » en vue de  « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande  En d’autres termes, l’acte constitutif de l’UNESCO prolonge les objectifs de la Charte en considérant la dignité de l’homme comme le fondement et le motif essentiel pour ses actions fonctionnelles définies de la manière suivante : « Que, la dignité de l’homme exigeant la diffusion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ».

Principe éthique, le respect de la dignité de la personne humaine a été donc intégré dans la sphère juridique par ces actes constitutifs qui offrent, par leur structure institutionnelle, le lieu privilégié de la négociation d’autres instruments internationaux. Ceux-ci ont, à leur tour, intégré d’autres principes éthiques au sein du droit international, en particulier, le principe de la justice dans son rapport avec l’impunité internationale en cas de violation grave des normes du droit international.

En effet, la période entre la deuxième guerre mondiale et la fin du 20ème siècle fut paradoxalement marquée, d'une part, par une prolifération et une sophistication des normes relatives aux droits de l'homme et au droit international humanitaire, avec de plus en plus de conventions internationales visant à la protection des populations civiles en temps de guerre et, d'autre part, par une croissance exponentielle des violations massives des droits humains les plus élémentaires. La raison de ce phénomène contradictoire me semble avoir été l'inexistence ou l'inefficacité absolue de mécanismes de garantie : c'est-à-dire de mécanismes qui auraient dû assurer l'application des mesures posées par ces mêmes conventions.

A cet égard,  l’établissement des Tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et Rawanda par des résolutions du Conseil de la Sécurité, en vertu du Chapitre VII de la Charte ainsi que la création récente de la Cour pénale internationale  par le Statut de Rome de 1998 ont une signification éthique certaine. Il est des instruments juridiques qui impriment sur le droit international une marque que le passage du temps n’est pas prêt d’estomper. La convention de Rome établissant pour la première fois dans l’histoire de l’humanité un tribunal permanent aura un effet à la fois éthique et juridique dans l’évolution de la fonction de droit international. Il s’agit d’une nouvelle institution apte tant à poursuivre les hommes politiques et les militaires qui ont pu instrumentaliser l’Etat pour confisquer ses moyens au profit des actes inhumains et  inacceptables qu’à les juger au nom de la communauté internationale.
 

B) Points d’achoppement entre le droit international et l’éthique 

Valoriser les dimensions éthiques des Conventions Internationales déjà citées ne suffit pas en soi à éviter les zones de tensions ou de conflits entre les normes du droit international et les considérations éthiques. 

Les raisons sont multiples. Elles sont d’ordre technique, car, les traités restent des traités à accepter au bon gré des Etats et à interpréter de manière différente des interprétations éthiques de l’ordre mondial souhaité.  Mais elles sont également d’ordre politique et éthique, car,  face à des situations intolérables créées par le terrorisme, les interventions militaires, la menace nucléaire et l’aggravation de l’inégalité du développement économique, le discours éthique se renouvelle, tout en prenant ses distances du droit et paradoxalement tout en éclatant dans tous les sens, au risque de perdre son universalisme qui a caractérisé l’époque de l’après guerre.

Pour me tenir aux seuls sujets déjà évoqués, et je me limiterai aux quatre points suivants que je considère, à tort ou à raison, comme des points d’achoppement entre l’éthique et le droit international :

a)      l’immunité absolue des chefs d’Etats ;  
b)      la validité de la dissuasion nucléaire telle qu’elle a été admise par l’avis de la Cour internationale de justice en 1996
c)      les aléas de la lutte contre le terrorisme et du principe de l’ingérence humanitaire ;

a)      l’immunité absolue des chefs d’Etats 

En ce qui concerne le premier point relatif à l’immunité des Chefs d’Etat en exercice, il est permis de se poser la question de la compatibilité de cette norme avec le principe éthique de la responsabilité et de la justice universelle.

Lors de l’arrestation de Pinochet [sur la base d’un mandat d’arrêt diffusé par Interpol à la demande d’un juge espagnol], beaucoup ont cru que l’éthique a été conciliée avec le droit qui ne doit admettre des exceptions à la généralité du droit des peuples à la justice. Et pourtant, cette arrestation n’a été possible, selon l’argumentaire des six Lords majoritaires de la Chambre des Lords du 25 novembre 1998, que parce qu’il n’était pas un chef d’Etat en exercice[8].

En effet, la Cour internationale de justice a tranché cette question dans une autre affaire. Elle a conclu en fait à l’illégalité du mandat d’arrêt émis à l’encontre du ministre des affaires étrangères de la république démocratique du Congo, en vertu de la loi belge sur la compétence universelle, bien que la Belgique ait voulu démontré devant la Cour qu’elle disposait « d’un droit propre de contribuer à la répression d’abominations condamnées par le monde entier ».  (C.I.J. du 14 février 2002). La Cour a justifié sa décision par l’existence d’une règle coutumière internationale consacrant l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité des ministres des affaires étrangères et des chefs d’Etats en exercice.

En effet, la Cour n’a pas déduit de la pratique des Etats et des décisions rendues par leurs hautes juridictions nationales, l’existence, en droit international coutumier, d’une exception quelconque à cette règle. Elle a également constaté que les règles prévues pour les tribunaux internationaux ne lui permettaient pas davantage de conclure à l’existence, en droit international coutumier, d’une telle exception en ce qui concerne les juridictions nationales.

L’exigence éthique de la remise en cause de l’immunité du chef d’Etat met en lumière le dysfonctionnement entre, d’une part, l’élaboration d’une norme générale selon laquelle les crimes de droit international entraînent la responsabilité de l’individu face à la communauté internationale et, d’autre part, l’absence d’élaboration de critères généraux pour établir qui peut assumer la représentation de la communauté internationale pour l’exercice de l’action de responsabilité. Admettre que l’immunité des chefs d’Etat puisse s’effacer, c’est admettre que  la représentativité de la communauté internationale puisse être mise entre les mains de tout Etat, ce qui est différent d’être mise entre les mains de tous les Etats.

b)      la validité de la dissuasion nucléaire devant la Cour internationale de justice

Alors que toutes les conventions sur la non-prolifération des armes nucléaires et des autres armes donnent l’impression d’un consensus entre des acteurs étatiques sur ce qu’on peut appeler l’éthique de la maîtrise des armements, beaucoup de questions se posent en ce qui concerne la dissuasion nucléaire et la course à l’armement nucléaire qui ne semble pas un phénomène éradiqué de la pratique internationale.
En effet, la dissuasion nucléaire implique que chaque nation offre aux possibles représailles de l’autre nation sa propre population en holocauste. La sécurité y est fille de la terreur et la force comme seule source de légitimité.
Si les normes éthiques conséquentialistes, c’est-à-dire celles cherchant la maximisation de l’intérêt général de l’humanité qui se heurte à l’intérêt des groupes égoïstes monopolisant une nation (l’équation des barbares contre les civilisés), vont jusqu’à justifier l’utilisation de la force, y compris l’arme nucléaire, les normes de l’éthique de responsabilité et de la déontologie répugnent à le faire.

Quel sera le sort des principes structurels des relations internationales inscrites dans la Charte de l’ONU[9] ou le sort du droit humanitaire ?

Face à ce dilemme, l’Assemblée générale de l’ONU a demandé à la Cour internationale de justice de répondre à la question suivante : «Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l'emploi d'armes nucléaires en toute circonstance ?»

En renversant la question, la Cour a saisi l’occasion pour dire qu’il n’existe aucune règle de droit international conventionnel interdisant spécifiquement la menace de l’emploi de l’arme nucléaire[10]. Quant au droit coutumier, l’attachement de plusieurs pays à la politique de dissuasion nucléaire a empêché de facto la formation d’une opinio juris et laissé les résolutions de l’Assemblée Générale de l’ONU condamnant la menace ou l’emploi de l’arme nucléaire comme relevant du droit désiré plutôt que du droit existant[11].
Au-delà des précautions de langage à l’égard des Etats à qui il incombe de négocier les conventions de bonne foi, comme ils sont invités à le faire par la Cour, l’avis a banni presque toutes les circonstances de l’utilisation de l’arme nucléaire comme étant contraires à des « règles intransgressibles de droit international », tout en hésitant, en l’absence d’un cas concret, à donner une réponse positive ou négative dans un seul cas. En fait, la Cour n’a envisagé qu’un seul cas de licéité éventuelle de l’emploi de l’arme nucléaire lorsque l’Etat assure sa légitime défense pour sa propre survie.
La réponse définitive de la Cour fut ainsi rédigée:
« Au vu de l’état actuel du droit international ainsi que des éléments de faits dont il dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un état serait en cause ».[12]
En d’autres termes, la compatibilité de l’arme nucléaire avec le droit humanitaire n’est envisagé que dans une « situation extrême de légitime défense » sans que l’avis préjuge la proportionnalité de la riposte.

Si la Cour n’a pas forcé les normes de droit international en vigueur pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, elle a agi en premier lieu comme juge de la Charte de l’ONU. Elle a tout simplement dit qu’elle n’a pas trouvé dans l’absence de règle coutumière prohibant l’arme nucléaire l’équivalence d’une règle permissive. Cela dit, Le juge Guillaume, dans son opinion individuelle a pensé que la Cour aurait dû reconnaître de manière explicite la licéité de la dissuasion nucléaire pour la défense des intérêts vitaux des Etats, alors que d’autres juges ne partageait pas ce point de vue[13].
Malgré toutes les critiques et les lectures juridiques controversées de cet avis, celui-ci reste comme un miroir récapitulant l’image de l’évolution du droit international dans toutes ses forces et dans toutes ses faiblesses, sans omettre le fait qu’il contienne en germe l’amorce d’un développement futur des normes confirmant tant les principes cardinaux de droit humanitaire[14] que ceux du droit de l’environnement, qui ne peuvent néanmoins pas avoir une valeur supérieure à la Charte de l’ONU[15].

c)      les aléas de la lutte contre le terrorisme et de l’ingérence humanitaire 

 
Si le terrorisme ne peut en aucune manière avoir une éthique que rien ne peut justifier, [sauf la prétendue cause juste invoquée par les terroristes eux-mêmes] il reste devant le droit une longue série d’obstacles ayant fait échouer les tentatives d'élaboration d'une convention générale sur la lutte contre le terrorisme. Ces obstacles sont les suivants :

(i)                  la difficulté de trouver une définition acceptable du terrorisme, tant les débats au sein de la Sixième Commission de l’Assemblée Générale de l’ONU sur ce sujet se révèlent imprégnés de valeurs et des considérations idéologiques et politiques divergentes qui ont d’ailleurs été à l’origine de l’exclusion du terrorisme des crimes relevant de la Cour Pénale internationale[16];

(ii)                la question de la responsabilisation des acteurs non étatiques en vertu du droit international humanitaire, sans préjudice du droit des peuples à l’auto-détermination ;

(iii)               l’impact des nouveaux modus operendis pratiquées par les terroristes, notamment le suicide collectif et le mode de financement anonyme, sur les effets dissuasifs de l’amalgame de 19 conventions internationales (12 de l’ONU) et (7 régionales) en réponse à des crimes individuels, sans aucune approche globale, mis à part les actions du comité spécial du Conseil de Sécurité qui a amené les Etats en deux ans à ratifier ce qu’ils n’ont jamais ratifié 10 ans auparavant;

(iv)              l’utilisation de la force ou des actions programmées en marge des principes de la Charte de l’ONU et du droit international[17].

Dans l’attente d’un consensus interétatique, les actions terroristes continuent à semer la terreur contre une population civile innocente aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des zones des conflits, tout en se justifiant par l’évocation d’une violence première, la violence fondatrice qui aurait été exercée par l’adversaire diabolisé, ce qui pousse celui-ci à diaboliser à son tour non seulement les acteurs non étatiques, mais également étatiques.

Tout autre chose est la question de l’ingérence humanitaire qui ne souffre d’aucune tension entre l’éthique et le droit international lorsqu’elle passe par les rouages de la Charte de l’ONU et du droit humanitaire surtout en cas de violation des obligations erga omnes par l’Etat contrevenant. Cependant, quant cette ingérence fait abstraction du principe de la Charte rejetant l’usage de la force en dehors de la légitime défense et des dispositions du Chapitre VII de la Charte, elle risque de violer le droit international, même si elle est soutenue par des nouvelles théories éthiques de la juste cause.

Face à un discours qui se contente de condamner ce qu’on appelle deux poids deux mesures en droit international, sans œuvrer en même temps à le respecter, il y a un autre discours en faveur de l’utilisation de la force au nom des droits de l’homme, même si cette intervention n’est pas décidée par le Conseil de Sécurité ou conforme au droit international.

Cette défiance s’accompagne fort logiquement d’une argumentation faisant la part belle à la justesse de la cause qu’il convient de garantir même au prix de s’écarter des principes structurants des relations internationales. En fait, le constat du caractère inadapté du droit international justifie son dépassement par référence à des valeurs considérées comme supérieurs, valeurs dont certains Etats entendent rester l’unique interprète.

Un tel contexte de monopolisation du « bien » et du monopole de la violence est peu propice à la consolidation du droit et des valeurs éthiques de la Charte. Dans ces conditions, le respect du droit apparaît secondaire par rapport aux exigences de sécurisation.

Ainsi, la controverse éthique qui divisent les teneurs de la paix par le droit et ceux qui prônent les interventions militaires pour sauvegarder les droits de l’homme, menacés par le terrorisme, est au centre du débat sur l’avenir des valeurs éthiques du droit humanitaire qui sera bafoué tant par la terreur des réseaux terroristes que par la terreur des armes de destruction massive.

A cet égard, il importe de faire trois commentaires :

En premier lieu, le droit humanitaire est totalement indifférent à la justesse étatique ou non étatique prêtée à une cause et proclame la soumission égale des belligérants aux mêmes règles coutumières. Ce n’est pas parce que les terroristes se sont exclues eux-mêmes du respect des normes qui exigent le respect de la vie humaine qu’il puisse être proportionnel de les exclure du genre humain en niant l’applicabilité du droit humanitaire aux conditions de leur de capture et de leur jugement. Cela ne peut qu’aggraver le recul des valeurs éthiques  qui ont animé ce droit.

En deuxième lieu, la démocratie au sens du droit international est une expression du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ; inverser cette logique et imposer la démocratie  par le recours à la guerre, si tant est que cela soit en pratique possible, c'est disposer de la volonté du peuple, c'est donc méconnaître son droit à l'autodétermination, comme l’a bien rappelé un internationaliste[18]. A cet égard, le dictum de la Cour dans l’affaire des activités militaires en Nicaragua est très pertinent lorsqu’il proclame que  « ... La Cour ne saurait concevoir la création d'une règle nouvelle faisant droit à une intervention d'un État contre un autre pour le motif que celui-ci aurait opté pour une idéologie ou un système politique particulier. ». En tout état de cause, ce droit à l’autodétermination des peuples, manifesté parfois par la lutte des mouvements de libération nationaux, ne peut avoir du sens en tant qu’exception licite au principe de l’interdiction du recours à la force que dans la zone du conflit au sens du droit humanitaire.

En dernier lieu, si ces fonctions du droit international sont en crise en raison de l’absence d’un ordre international qui combinerait force et justice, il ne faut pas aggraver cette crise par une monopolisation de la légitimité de l’usage de la force en dehors des structures prévues par la Charte de l’ONU. Ce n’est pas en utilisant des catégories conceptuelles préétablies, empruntées aux droits internes qu’on puisse éviter une déviation des valeurs communes humanistes et universelles qui ont été à l’origine  de la Charte de l’ONU.  L’existence d’un corpus juris régissant une société internationale décentralisée et horizontale relève autant de la nécessité que de sa propre différence avec l’Etat pris individuellement et la seule manière de donner vie à ce droit de l’ONU c’est de le respecter. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre le discours du Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan qui a fait remarquer devant l’Assemblée générale de l’ONU en 1999 que « si la conscience collective de l’humanité ne trouve pas dans l’ONU sa plus grande tribune, elle risque fort de rechercher ailleurs la paix et la justice ».[19]
Les événements lui donnent raison, car rechercher la paix et la justice ailleurs, sans passer par le système de l’ONU c’est faire de la justice soi-même, sans que celle-ci puisse être conforme aux droits de l’homme au droit humanitaire.

II. COEXISTENCE ENTRE L’ETHIQUE ET LE DROIT : NOUVEAUX CONCEPTS, NOUVELLES FORMES.  


Dans cette partie, il ne s’agit pas de montrer comment le droit international subit la concurrence d’autres systèmes normatifs émanant, non de la communauté étatique internationale, mais de la communauté scientifique et civile, car cela revient à réduire l’éthique internationale à une sorte d’auto-régulation que les acteurs professionnels s’imposent à eux-même sous la forme des codes déontologiques.

Certes, ces codes  prônés par les ONG qui s’attachent aux aspects internes de la conduite des multiples affaires professionnelles sont-ils importantes. Mais, leurs contenues n’engagent pas les Etats, bien qu’elles puissent dans certaines conditions les influencer pour « légiférer », via les organisations internationales compétentes.

En fait,  les Organisations internationales, agissant comme les premières manifestations des services publics internationaux de coopération et de programmation, offrent aux Etats un lieu de rencontre et de débat non seulement dominé par les intérêts économiques et commerciaux, mais également éthique faisant face aux défis du développement durable qui n’avance pas sur le même rythme dans tous les pays, sur les intérêts communs et les partages possibles, sur le sort des relations Nord Sud, etc…Ce débat intergouvernemental est ouvert à d’autres acteurs non étatiques et à la société civile en vue d’atteindre les objectifs communs fixés par l’énorme masse chaotique de conventions internationales parfois lacunaires ou en mal de compatibilité.

C’est dans cette zone sombre de chevauchements des normes appelées à régir les conduites de plusieurs acteurs de la scène internationale que la réflexion éthique a abouti, sous l’égide des organisations internationales spécialisées, à la mise au point de plusieurs instruments normatifs de « hard » ou « soft » Law reflétant une éthique universelle de consensus qu’on a du mal à attribuer à une seule théorie éthique globale. 

A cet égard, il faudrait distinguer entre les conventions obligatoires exigeant l’établissement des codes de conduites ou des codes d’éthique (A) et les solutions de consensus par la « soft law », c’est-à-dire par l’adoption de textes « déclaratifs » ou « proclamatoires » énonçant certains principes éthiques non-contraignants qui questionnent le droit international, ses lacunes et ses potentiels en vue de l’améliorer. (B).

A)    La valeur éthique des codes internationaux de conduite auxquels renvoie le droit international lui-même

Bien que cela puisse sembler paradoxal, c’est dans le domaine du commerce et des affaires que l’éthique a joué un rôle non seulement pour arriver à un large consensus au sein de la communauté internationale pour établir des incriminations pénales visant des actes tels que le trafic illicite des stupéfiants, la traite des êtres humains, la prostitution et les publications obscènes, mais également pour critiquer la stagnation de l’approche répressive des conventions internationales en la matière. 

En effet, la multiplication d'affaires criminelles internationales disséminées dans plusieurs pays à la fin du XX ème  siècle a prouvé l’inefficacité de ce système de coopération internationale policière et judiciaire pour lutter contre ces trafics.

La mondialisation a permis corrélativement la constitution de grands réseaux internationaux de trafiquants qui ont pénétré les principaux rouages de l’industrie et de la finance et qui ont imposé la prédominance les règles du jeu de leurs mafias, leurs milices ou leurs sociétés, etc..

C’est dans ce contexte que le droit international pénal a connu des nouvelles tendances matérialisées par l’incrimination du blanchiment d’argent en vertu de la convention de Vienne de l’ONU en 1988, par l’incrimination de la criminalité transnationale en vertu de la convention de l’ONU de 2001 et par l’incrimination de la corruption des agents publics étrangers en vertu de la récente convention de l’ONU en 2003, ainsi que par la convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe de 2001.

Ces conventions sont constitutives, avec celles de l’UNESCO de 1970 contre le trafic illicite des biens culturels et d’UNIDROIT sur la restitution des biens culturels volés ou des biens obtenus d'une manière illicite de 1995, ainsi que la convention sur l’anti-dopage dans le sport qui a été adoptée en octobre 2005 par la conférence générale de l’UNESCO, des premières manifestations d'un réel droit international pénal des affaires.

L’innovation principale de ces conventions réside dans l’approche préventive et éthique qui prédomine certaines de leurs dispositions essentielles.


a)Exemple de la Convention de l’ONU contre la corruption

L’article 8 de la Convention de l’ONU contre la corruption du 31 octobre 2003 oblige tous les Etats à encourager « l’intégrité, l’honnêteté et la responsabilité chez ses agents publics » (alinéa 1er) en s’efforçant « d’appliquer des codes ou des normes de conduite pour l’exercice correct, honorable et adéquat des fonctions publiques » (alinéa 2) et de s’inspirer « des initiatives pertinentes d’organisations régionales, interrégionales et multilatérales, telles que le Code international de conduite des agents de la fonction publique annexé à la résolution 51/59 de l’Assemblée générale, en date du 12 décembre 1996 ». (alinéa 3).

Il est important de signaler cette référence au Code international de conduite des agents de la fonction publique de l’ONU de 1996 dont le contenu est plus étendu que celui 1979 (Code of Conduct for Law Enforcement Officials)[20].
Bien que l’incrimination de la corruption des fonctionnaires internationaux des organisations internationales ait été suggérée à titre facultatif aux Etats, la mise à jour du code de conduite de la fonction publique international de l’ONU en 2002 n’a pas omis de rappeler les obligations de probité à leurs charges.

La flexibilité de la nouvelle convention de l’ONU contre la corruption se reflète aussi par sa référence aux efforts régionaux, notamment ceux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 19 septembre 2001 adoptant le code européen d’éthique pour la police (après la Résolution 690 de 1979 adoptée  par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en 1979 portant déclaration sur la police et comportant un modèle international de code de déontologie reprenant en détail les principes proclamés par le code de l’ONU de 1979) et le  code de conduite des agents de la fonction publique européenne de 2002.

La finalité de ces codes universels ou à caractère régional est de prévenir « la gravité des problèmes que pose la corruption et de la menace qu’elle constitue pour la stabilité et la sécurité des sociétés, en sapant les institutions et les valeurs démocratiques, les valeurs éthiques et la justice et en compromettant le développement durable et l’état de droit », selon les vœux du préambule de la convention de l’ONU contre la corruption.

Il s’agit d’une innovation capitale dans la rédacteur des conventions internationales à caractère répressif dans la mesure où le droit international lui-même consacre l’importance des codes de conduite à valeur éthique dans la politique de prévention comme on peut le constater de l’article 5 de la convention  qui ouvre la porte devant la société civile elle-même de sorte qu’elle puisse participer à cette politique pour « sauvegarder les principes d’état de droit, de bonne gestion des affaires publiques et des biens publics, d’intégrité, de transparence et de responsabilité ».

En outre, l’innovation est également de taille dans l’évolution de l’éthique des relations internationales dans la mesure où aucune discrimination n’est admise par la convention entre un agent public national et un agent public étranger, alors que traditionnellement les Etats n’incriminaient avant que la corruption de leurs propres agents publics et non pas celle des agents étrangers.

Maintenant, la prévention vise à empêcher les sociétés d’un pays donné à corrompre non seulement leurs propres agents publics, mais également les agents publics d’un autre pays avec lequel elles cherchent à gagner ses marchés.

Cette prévention n’est pas seulement destinée au secteur public, mais également à l’encontre de la corruption au sein du secteur privé lui-même dans la mesure où l’article 12 de la même convention invite les Etats à assurer « la promotion de l’élaboration de normes et procédures visant à préserver l’intégrité des entités privées concernées, y compris de codes de conduite pour que les entreprises et toutes les professions concernées exercent leurs activités de manière correcte, honorable et adéquate, pour prévenir les conflits d’intérêts et pour encourager l’application de bonnes pratiques commerciales par les entreprises entre elles ainsi que dans leurs relations contractuelles avec l’État ».  

Dans la mesure où cette convention établit également le lien qui existe entre le blanchiment d’argent, la criminalité organisée et la corruption, ces codes sont de facto appelés à faire le point sur les principes qui peuvent concilier le respect du secret professionnel de certaines fonctions, avec les devoirs de transparence, sans préjudice de certaines de certaines dispositions pénales d’exception. 

En gros, le message reflète une invitation à l’auto- discipline et vérifie la justesse relative de l’adage « vaut mieux prévenir que punir » dans certaines situations.  Mais si les codes de conduites pour les entreprises sont laissés à l’appréciation du secteur privée dans une sorte d’invitation à l’auto-régulation, il importe de signaler que l’article 8.4 de la convention invite les Etats à envisager « de prendre […] des mesures disciplinaires ou autres à l’encontre des agents publics qui enfreignent les codes ou normes institués en vertu du présent article ».


b)      L’exemple de la convention de l’UNESCO sur l’antidopage dans le sport

La référence aux motivations éthiques de cette convention est très explicite dans son préambule annoncé par la Conférence générale de l’UNESCO qui déclare être tant « Préoccupée par le recours au dopage dans le sport et par ses conséquences sur la santé des sportifs, le principe du franc-jeu, l’élimination de la fraude et l’avenir du sport », que « Consciente que le dopage met en péril les principes éthiques et les valeurs éducatives consacrés par la Charte internationale de l’éducation physique et du sport de l’UNESCO et la Charte olympique ».

Afin de bannir ce « mal moderne » lié à l’avancé des sciences, la convention n’a pas pour autant choisi la voie répressive, mais la voie préventive et civile en faisant de manière explicite une référence au Code mondial antidopage adopté par l’Agence mondiale antidopage (AMA) lors de la Conférence mondiale sur le dopage dans le sport à Copenhague, le 5 mars 2003, et à la Déclaration de Copenhague contre le dopage dans le sport[21].

Cette référence est innovante dans la mesure où un traité se réfère clairement à un code produit non pas par une organisation intergouvernementale, mais par une ONG. C’est la raison pour laquelle elle a impliqué une rédaction prudente de son article 4 dont la teneur est la suivante :

« Article 4 - Relation entre le Code et la Convention
1. Afin de coordonner la mise en œuvre de la lutte contre le dopage dans le sport aux
niveaux national et international, les États Parties s’engagent à respecter les principes
énoncés dans le Code, qui servent de base aux mesures visées à l’article 5 de la présente
Convention. Rien dans la présente Convention n’empêche les États Parties d’adopter des mesures additionnelles en complément du Code.
2. Le texte du Code et la version la plus récente des appendices 2 et 3 sont reproduits à titre d’information et ne font pas partie intégrante de la présente Convention. Les appendices,
en tant que tels, ne créent aucune obligation contraignante en droit international pour les
États Parties.
3. Les annexes font partie intégrante de la présente Convention ».

En fait, il s’agit d’une part, d’intégrer les principes éthiques et juridiques d’un Code de Conduite développé par une fondation de droit canadien regroupant des ONG et certaines entités étatiques dans les normes d’un traité destiné à rendre illicite la consommation par les sportifs de certains produits qui restent licite pour les non sportifs, et d’autre part, de préserver la liberté des Etats qui resteront à l’abri de toute obligation contraignante de droit internationale en ce qui concerne les modalités procédurales de mise en application des sanctions disciplinaires à l’encontre des professionnels du sport.

Sans faire des conclusions hâtives sur l’émergence d’une société civile internationale[22] qui partage, avec les Etats, des prérogatives législatives faisant tomber les cloisons entre les normes éthiques d’ordre privée et les normes juridiques, il y a lieu d’insister sur le choix étatique faisant prévaloir la prévention éthique à la répression pénale.

Dernière ce choix consensuel des Etats, de l’UNESCO au niveau universel, après le consensus régional au sein du Conseil de l’Europe sur ce sujet, il y a une reconnaissance du rôle que peut jouer des entités privées organisées de manière transnationale pour sauvegarder un intérêt général au service de la santé de la paix et de l’exemplarité de l’éducation sportive conservant les valeurs du principe du franc-jeu qui vont à l’encontre de la tricherie sociale, médiatique et médicale.

A cet égard, le sportif n’est pas le seul acteur visé, d’autant plus que la convention tend à le responsabiliser afin de ne pas accepter d’être instrumentalisé par les sponsors ou les médecins. La sanction disciplinaire peut être parfois plus grave que la sanction pénale. Outre ses conséquences sur la privation temporaire du sportif de participer à des compétitions, son expiration ne signifie pas que les autres effets moraux de l’exclusion seront faciles à surmonteer. Certains sports comme le judo ont leur code d’honneur implicite et le sportif risque de « griller » sa carrière.

Quant aux autres acteurs du dopage, les médecins et les sponsors, bien que les Etats n’aient pas exclu leur recours à leur arsenal pénal, ils se sont mis d’accord à l’UNESCO pour que la convention rappelle aussi aux autres professions leurs obligations de respecter leurs propres codes de déontologie.

Ces techniques ont été également utilisées par d’autres conventions cherchant à sensibiliser les acteurs non étatiques concernés par le commerce ou par les recherches scientifiques, ce qui mérite une évaluation de leur juridicité.

c)      Les codes d’éthiques recommandés par le droit international aux acteurs non étatiques.

Si ces deux conventions sont les plus innovantes dans la gestion de l’interférence entre les codes de conduites et les normes contraignantes de droit international, il y a d’autres conventions qui ont prévu le principe d’encouragement des acteurs non étatiques au respect de leur propre responsabilité sociale.

Il en est ainsi dans le texte de l’article 5 de la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels de l’UNESCO de 1970 qui dispose ce qui suit :  « Afin d'assurer la protection de leurs biens culturels contre l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites, les États parties à la présente Convention s'engagent :
 e. Établir, à l'intention des personnes intéressées (conservateurs, collectionneurs, antiquaires, etc.), des règles conformes aux principes éthiques formulés dans la présente Convention et veiller au respect de ces règles;
f Exercer une action éducative afin d'éveiller et de développer le respect du patrimoine culturel de tous les États et diffuser largement la connaissance des dispositions de la présente Convention ».

Cette convention a été suivie par la Convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 24 juin 1995) qui a aggravé les diligences de l’acquéreur de bonne foi en prescrivant dans son article 4, alinéa 4, que : « pour déterminer si le possesseur a agi avec la diligence requise, il sera tenu compte de toutes les circonstances de l’acquisition, notamment de la qualité des parties, du prix payé, de la consultation par le possesseur de tout registre relatifs aux biens culturels volés raisonnablement  accessible et de toute information et documentation pertinentes qu’il aurait raisonnablement obtenir et de la consultation d’organismes auxquels il pouvait avoir accès ou de toute autre démarche qu’une personne raisonnable aurait entreprise dans les mêmes circonstances ».

Alors que la violation d'une obligation civile dont l'origine est morale est parfois sanctionnée d'une manière peu efficace, cette disposition créé de facto une conception de la bonne foi plus adaptée que celle du droit commun et rappelle la finalité d’une responsabilité éthique qui  implique un minimum de liberté de choix dans l’action, sans que cette liberté aboutisse à une ignorance coupable. En effet,  le marchant d’art doit prouver ses diligences et ses contacts avec les organismes compétents pour éviter d’acheter des biens volés à valeur spécifique.

D’où l’importance des codes de conduites qui ont été développés par l’ICOM, et l’UNESCO à l’attention des musées et des galeries d’art.

Il en est de même dans les conventions du Conseil de l’Europe sur les recherches biomédicales où son article 4 prévoit que « Toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et obligations professionnelles, ainsi que des règles de conduite applicables en l'espèce ». Cet article s'applique aux médecins et plus généralement aux professionnels de la santé, y compris les psychologues dont l'interaction avec des patients dans le cadre clinique ou de la recherche peut avoir des effets importants, et les travailleurs sociaux faisant partie d'équipes impliquées dans le processus de décision ou de mise en oeuvre d'une intervention. Il ressort de l'expression "normes et obligations professionnelles" qu'il ne concerne pas les personnes qui, sans être des professionnels de la santé, sont appelées, par exemple dans une situation d'urgence, à exécuter des actes de nature médicale.

Toutes ces normes ne sont pas utilisées par les États comme excuse pour ne pas avoir pris de mesures visant à protéger les droits des acteurs légitimes, par exemple en faisant appliquer les lois en vigueur. Elles font recours aux diligences des acteurs non étatiques par désir de les responsabiliser dans un monde où les Etats ont certainement perdu le contrôle absolu de leurs frontières, que les acteurs économiques traversent selon des stratégies désormais globales.

Dans ces exemples précités, le recours à l’éthique des acteurs non étatiques tient compte de la relativité de l’efficacité de la seule règle de droit, inadaptée aux réseaux transnationaux (ceux du commerce, mais aussi du crime organisé, ou de la communication par Internet).

Cela dit, les Etats ont parfois cette crainte que les acteurs privés finissent par produire leurs propres règles, adaptées à leurs seuls intérêts. D’où l’importance des perspectives internationales d’institutionnalisation de l’éthique à travers une conception renouvelée de la déontologie.

Or, la déontologie des professionnelles peut régler ce qu’on peut appeler les problèmes internes d’éthique qui sont liés à un comportement regrettable ou inacceptable de la corporation concernée ou du corps professionnel visé: l’accent est mis ici sur des notions telles que l’intégrité, l’honnêteté et la confiance. Quant aux problèmes externes, ils sont liés au contexte social des professionnels, à leur responsabilité, à l’éventuelle utilisation abusive de leurs droits en empiétant sur les droits des autres.

Dans cette dernière situation, les entreprises n’ont pas les mêmes déontologies ou éthique interne ou externe sur le plan international et la seule référence est celle identifiée par les organisations internationales compétentes. D’où la réticence de l’OIT pour cautionner toutes les initiatives volontaires, et notamment les codes de conduite des entreprises en dehors de la référence aux conventions de l’OIT.

En tout état de cause, les codes d’entreprise peuvent porter sur des domaines très variés: droits humains, éthique commerciale, environnement, respect de la communauté, concurrence, conditions de travail, santé et sécurité, recherche scientifique et technologie. Ils concernent généralement les relations de l’entreprise avec ses «parties prenantes», à savoir:

Relations avec la clientèle, les fournisseurs et pratiques commerciales: qualité et
sécurité des produits, éthique marketing et vente, contrôle des exportations, attitude
en cas de réclamation, attitude face aux pratiques de corruption
Relations avec le personnel: égalité des chances, promotion, rémunérations et prestations,
environnement de travail, transparence des communications
Relations avec les actionnaires: transparence, responsabilité financière, gouvernance
Problèmes de l’environnement: gestion des risques, santé et sécurité au travail
Relations avec la communauté: la vie de la collectivité, dons et activités philanthropiques.

Ces codes relèvent de l’auto-régulation et sont opposables à l’intérieur de l’entreprise à ceux qui ont des relations contractuelles avec elle. Cependant, l’auto-régulation telle qu’elle est proclamée dans le Cyberespace laisse encore à désirer, d’autant plus que ce domaine ne fait encore l’objet d’aucune réglementation universelle en raison de la conciliation difficile parfois entre la liberté d’information et d’accès au réseau de l’internet et le respect d’un ordre public international qui ne trouve pas ses mots d’ordre.

L'autorégulation ne s'adresse, en réalité, qu'aux internautes avertis, sages et capables de discernement. Les Acteurs du réseau qui ont participé aux travaux d'élaboration du Code de l'Internet ont d'ailleurs modestement défini l'objet de ce Code puisqu'ils ont estimé que "...la régulation doit passer avant tout par la prévention", et qu'ils ont précisé que le Code a "vocation à acquérir une valeur de référence pour l'autorité judiciaire". Les codes de conduite ne sont, finalement, qu'un moyen pour les fournisseurs d’accès pour sécuriser leur clientèle, alors que celle-ci n’est pas homogènes et construite dans une société civile internationale bien organisée.

Les obstacles tenant à la nature et au rôle multiple de l'Etat qui se hisse tantôt en garant de l'intérêt public tantôt en acteur direct du commerce, tout en étant par ailleurs sujet de droit international, ne peuvent se résoudre radicalement par des proclamations d'auto-contrôle ou d'auto-régulation. Seul le droit international pourra résoudre ces obstacles par une amélioration de ses normes.  Ni la prévention, ni la répression, ne peuvent, isolément, offrir de solution satisfaisante. 

Si les institutions étatiques veulent remplir leur rôle sans se trouver court-circuitées par la réalité, elles doivent être capables de traiter les questions posées en collaborant mieux avec l'ensemble des acteurs et des parties prenantes aux débats. Elles doivent savoir se focaliser sur les sujets dont les enjeux sont essentiels et où leur intervention est décisive, et laisser différentes formes d'autorégulation s'exercer là où elles suffisent à répondre aux attentes sociales et éthiques. Il s'agit donc, non pas de définir une nouvelle source de droit, une nouvelle forme de régulation, mais de trouver une méthode adaptée aux temps nouveaux.

Le rôle des ONGs

Dans ce processus, il faut insister sur le rôle des ONG dans leurs relations avec les organisations internationales. Cette soft law ou codes de conduites n’aurait jamais vu le jour, sans leurs actions comme c’est le cas de l’Association médicale mondiale (AMM)[23] et son code d’éthique.

Le rôle des ONG peut être parfois l’initiateur de ces instruments internationaux comme c’est le cas du Conseil international des organisations des sciences médicales, le CIOMS ou l’Union Mondiale pour la Nature (UICN)[24].
 
Ainsi la soft law se manifeste comme le réceptacle par excellence de l’éthique des sciences ou de l’environnement, sans que cela se limite à ces deux domaines.

En effet, la soft law n’a pas seulement séduit l’UNESCO et l’OMS parmi les agences spécialisées. Son attrait a également été relevé par tout le système de l’ONU où le débat sur plusieurs défi relevant de la compétence de plusieurs organisations a abouti à la proclamation de plusieurs principes éthiques qu’on a du mal à attribuer à une seule théorie éthique globale.

Le mode d’expression préférée de cette éthique est la soft law, c’est-à-dire des solutions de consensus non-contraignates  encadrées par des résolutions ou par l’adoption de textes « déclaratifs » ou « proclamatoires » par les organes suprêmes des organisations internationales en vue de servir comme un modèle d’expérimentation normative qui pourrait préparer le terrain soit à l’adoption de normes contraignantes conventionnelles prévoyant des obligations juridiques précises soit à la constatation d’une norme coutumière ayant la même valeur juridique.

La Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et la politique sociale en est le témoin sur l’adhésion de l’OIT à cette pratique éthique. Adoptée en 1977, la Déclaration tripartite s'adresse aux gouvernements, aux multinationales, aux employeurs et aux travailleurs. Elle contient en annexe une liste des conventions et recommandations de l'OIT particulièrement pertinentes, alors qu’il est difficile de dire à quoi aboutiront les propositions relatives à d'autres directives sociales, notamment le projet de code de conduite de la CNUCED sur les sociétés transnationales[25].

Quant à l’agence internationale de l’énergie atomique, elle a adopté en 1990 un code de bonne conduite pratique destiné à régir les transactions internationales concernant les déchets radioactifs. Adoptés par consensus, ces principes directeurs ont été implicitement repris lors de la Conférence de Rio sur l’environnement. Ce caractère prospectif est allé jusqu’à l’invention de « permis de polluer » négociable en vertu du protocole de Kyoto de 1997 dont l’application est d’ailleurs sujette à diverses hypothèses techniques lointaines[26].

Il en est de même pour le « code mondial d'éthique du tourisme » adopté le 1er octobre 2001 à Santiago du Chili lors de l'Assemblée Générale de l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT). L’analyse succincte de ce code  permet de mettre en lumière les atouts et les faiblesses de la démarche éthique. Ce code répondait à la double volonté de réaliser la synthèse d'un certain nombre de codes et de chartes existants et de créer un cadre de référence pour les acteurs du tourisme mondial à l’aube du prochain siècle, après la « déclaration sur le tourisme mondial » (1980), la « Charte du tourisme et le code du touriste » (1988) et la déclaration sur « la prévention du tourisme sexuel organisé » (1995). Il rejoint aussi de nombreux textes d’origine non gouvernementale ou intergouvernementale, comme le  « code de conduite professionnel des agences de tourisme »(1994).

Ces exemples montrent donc combien il est plus simple, au niveau international, de rédiger des chartes et des codes d’éthique — même nourris des meilleures et des plus sincères intentions —que de mettre en place des structures chargées de vérifier la réelle application de ces principes, c’est-à-dire des mécanismes de contrôle chargés, sans même parler d’appliquer des sanctions pour les contrevenants, de porter un jugement sur le respect du code.

Il est encore tôt de spéculer sur la recevabilité de ce nouveau type de normes par le droit international conventionnel ou coutumier dans ces domaines où la rapidité de l’évolution scientifique et les effets de la mondialisation risque de changer les donnes. Cela est presque établi dans le domaine de la bioéthique.
Souheil EL ZEIN




I.                   L’ETHIQUE A L’OMBRE DU DROIT INTERNATIONAL




La dilution de l’éthique dans le droit et par le droit international
a) Léthique de la guerre et le droit international humanitaire des droits de lhomme 

b) L’éthique et le crime contre l’humanité, le génocide et le patrimoine commun de l’humanité



c) au niveau institutionnel par la prédominance de la charte de l’ONU et la création récente de la Cour pénale internationale



Points d’achoppement entre le droit international et l’éthique 

a)      l’immunité absolue des chefs d’Etats ;  

b)      la validité de la dissuasion nucléaire telle qu’elle a été traitée par l’avis de la Cour internationale de justice en 1996

c)      les aléas de la lutte contre le terrorisme et du principe de l’ingérence humanitaire ;



II.           LA COEXISTENCE ENTRE L’ETHIQUE ET lE DROIT  INTERNATIONAL



La valeur éthique des codes internationaux de conduite auxquels renvoie le droit international lui-même



a)      Exemple de la Convention de l’ONU contre la corruption


b)      L’exemple de la convention de l’UNESCO sur l’antidopage dans le sport


c)      Les codes de conduites recommandés par le droit international aux acteurs non étatiques







[1] Dans cette catégorie, il y a lieu de mentionner les conventions élaborées sur l’initiative de l'OIT surtout celles incitant les Etats à prescrire des sanctions appropriées en cas d'infraction aux règles substantielles relatives aux conditions de travail des salariés, notamment la convention n° 182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999 et la Convention n° 169 de l’OIT concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants du 27 juin 1989


[2] TAVERNIER P. - "Réflexions sur les mécanismes assurant le respect du droit international humanitaire, conformément aux Conventions de Genève et aux Protocoles additionnels". - Actualité et Droit International, avril 2000 (http://www.ridi.org/adi).

[3] Son préambule proclame également que les nations sont « Résolus, dans l'intérêt de l'humanité tout entière, à exclure complètement la possibilité de l'emploi des armes chimiques, grâce à l'application des dispositions de la présente Convention, complétant ainsi les obligations contractées en vertu du Protocole de Genève de 1925, Considérant que les progrès dans le domaine de la chimie devraient être utilisés exclusivement au profit de l'humanité »


[4] Il en est de même pour la convention du 10 avril 1972 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines dont le préambule proclame que les nations sont « Résolus, dans l'intérêt de l'humanité tout entière, à exclure totalement la possibilité de voir des agents bactériologiques (biologiques) ou des toxines être utilisés en tant qu'armes, Convaincus que la conscience de l'humanité réprouverait l'emploi de telles méthodes et qu'aucun effort ne doit être épargné pour amoindrir ce risque ».  



[5] Un premier exemple caractéristique est fourni depuis longtemps par la Conférence de 1959 sur le statut de l’Antractique, au cours de laquelle, les Etats ayant abandonné leurs revendications égoïstes, aboutissent au traité du 1er décembre 1959 qui prohibe toute action de caractère militaire et établit la liberté des recherches scientifiques. Dans le préambule dudit traité, il est même dit que les Etats ont décidé à servir l’intérêt de toute l’humanité. Le deuxième exemple est matérialisé par la Convention de l’UNESCO pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972, qui a donné lieu à la formation d’un Comité du patrimoine mondial dont la tâche principale fut de dresser une liste de 812 biens ayant une valeur universelle exceptionnelle à protéger par tous les Etats. C’est dans ce sens qu’il faut également interpréter la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer adoptée à Montego Bay en 1982, et l’Accord de 1994 concernant l’application de sa Partie XI relatif au régime applicable à ce que la Convention qualifie de « patrimoine commun de l’humanité » et à ses richesses pour l’heure encore inexploitées. Depuis l’adoption de cette Convention sur le droit de la mer, l’obligation des Etats de protéger «les objets de caractère archéologique ou historique» a été reconnue comme faisant partie de ce « patrimoine commun de l’humanité », tout en laissant l’élaboration d’un régime de protection détaillé à un instrument international plus spécifique. La Convention de l’UNESCO de 2001 sur le Patrimoine culturel subaquatique représente cet instrument. Elle a été adoptée le 2 novembre 2001 à la trente et unième session de la Conférence générale de l’UNESCO et elle renforce la protection internationale amorcée dans la Convention de 1982 .Le Patrimoine culturel subaquatique n’a, jusqu’à l’adoption de la Convention de l’UNESCO de 2001 sur le Patrimoine culturel subaquatique, pas bénéficié d’une protection suffisante en droit internationale ni dans la plupart des législations internes. Pourtant, la nécessité d’une telle protection et d’une telle convention est encore plus évidente depuis que le développement rapide des technologies a ces dernières décennies conduit à un accès sans précédent aux fonds marins et au patrimoine culturel qui s’y trouve, suivi de pillages et destructions portés à ce patrimoine.


[6] Voir le commentaire de Charles Leben sur ce cours. RGDIP. Tome 109, p.75 et s. 2005.

[7] Voir son Cours général à l’Académie de droit international « unité de l’ordre juridique international » 2003 P.305 et s.

[8] De Cara, Jean-Yves, L ‘Affaire Pinochet Devant la Chambre des Lords, XLV Annuaire Français de Droit International 72-100 (1999)


[9] Sans préjudice des résolutions 1373 et 1540 du Conseil de la Sécurité, prise en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui viennent d’ajouter les groupes et les réseaux terroristes comme cibles à atteindre pour rétablir la paix menacée tant par le terrorisme international et son financement que par sa quête pour l’utilisation de l’arme nucléaire. 

[10] Extrait de l’avis de la Cour CIJ de 1996. « 57. La tendance a été jusqu'à présent, en ce qui concerne les armes de destruction massive, de les déclarer illicites grâce à l'adoption d'instruments spécifiques. La Cour ne trouve pas d'interdiction spécifique du recours aux armes nucléaires dans les traités qui prohibent expressément l'emploi de certaines armes de destruction massive. ». Pour conclure que « Ni le droit international coutumier ni le droit international conventionnel ne comportent d'interdiction complète et universelle de la menace ou de l'emploi des armes nucléaires en tant que telles; Est illicite la menace ou l'emploi de la force au moyen d'armes nucléaires qui serait contraire à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies et qui ne satisferait pas à toutes les prescriptions de son article 51 ».


[11] Voir Vincent Coussirat-Coustère « la Licéité des armes nucléraires en question » in Le droit des armes nucléaires. ED Pédone,1998.p,93.


[12] Paragrphe E de l’avis consultatif.

[13] Voir Propsper Weil, « l’avis consultatif sur la licéité de la menance ou de l’emploi d’armes nucléaires : deux lectures possibles ». In Liber Amicorum Judge Mohammend Bedgaoui, La Haye, Kluwer Law international, 1999, p545 et s.

[14] Paragraphe D de l’avis : « La menace ou l'emploi d'armes nucléaires devrait aussi être compatible avec les exigences du droit international applicable dans les conflits armés, spécialement celles des principes et règles du droit international humanitaire, ainsi qu'avec les obligations particulières en vertu des traités et autres engagements qui ont expressément trait aux armes nucléaires ».


[15] Extrait de l’avis sur la légitime défense : « La Cour n'estime pas que les traités en question aient entendu priver un Etat de l'exercice de son droit de légitime défense en vertu du droit international, au nom des obligations qui sont les siennes de protéger l'environnement. Néanmoins, les Etats doivent aujourd'hui tenir compte des considérations écologiques lorsqu'ils décident de ce qui est nécessaire et proportionné dans la poursuite d'objectifs militaires légitimes. Le respect de l'environnement est l'un des éléments qui permettent de juger si une action est conforme aux principes de nécessité et de proportionnalité »

[16] La Sixième Commission (Commission juridique) de l'Assemblée générale de l’ONU a tenté d’élaborer une convention visant à supprimer les actes de terrorisme nucléaire, ainsi qu'une convention d'ensemble portant sur l'élimination du terrorisme. VoirColloque de CEDIN Paris I «  le Droit international face au terrorisme » ED. Pedone. 2002

[17] Quant à l’étude des causes sous-jacentes du terrorisme, elle a disparu du discours de la guerre internationale contre celui-ci, sauf à relever certaines résolutions de l’UNESCO appelant les Etats à observer une éthique de dialogue entre civilisations, centré sur la tolérance, et la prévention par l’éducation et la culture de la paix.

[18] Article sur le droit impérial sur le site Web des actualités de droit international.  Voir également l’affaires des Activités militaires à Nicaragua  évoquant les principes généraux de base du droit humanitaire  (Arrêt du 27 juin 1986 CIJ Rec ; RGDIP,1987,p 1159, note Verhoeven

[19] Documents de l’Assemblée générale 1/54/PV.4-20 septembre 1999.


[20] Ce code ne comportait que 8 articles s’adressant aux agents de police, de la justice et des douanes. Interpol s’est référé à cet ancien code par une résolution de 1994 (Résolution AGN/63/RES/16), puis s’est référé au nouveau code de conduite pour la prévention  de la corruption des fonctionnaires de police dans un rapport présentant des recommandations aux Etats membres en 2000

[21] Voir le site Web de l’UNESCO unesco.org.

[22] Voir pourtant dans ce sens les actes du Colloque du CEDIN PARIS X Cahiers internationaux n° 18 sur « l’émergence de la société civile internationale : vers la privatisation du droit international ? », sous la direction de H. Gherari et S. Szurek,, l’exposé de M. F. Latty sur le Comité international olympique comme un exemple ssur les nouveaux modes de coopération dans le domaine du sport, révélateurs d’une « privatisation du droit international public.p.302.

[23] Établie en 1947, l’AMM, qui fédère des associations médicales, se donne pour objectif de « servir l’humanité en s’efforçant d’atteindre les normes internationales les plus élevées en matière d’enseignement médical, de science médicale, d’art médical, de déontologie médicale et de soins médicaux pour tous les peuples du monde ».

[24] En effet, le CIOMS qui a été créé en 1949 sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’UNESCO dans l’objectif de mettre en place un système de coordination entre organisations non gouvernementales et intergouvernementales a permis à l’OMS d’adopter en 1991 des principes universels s’agissant des transplantations d’organes et de tissus.[ Principes directeurs sur la transplantation d’organes humains adoptés par l’Assemblée mondiale de la santé le 13 mai 1991, Recueil international de législation sanitaire, 1991, vol. 42, n°3. ] Quant à l’UICN qui regroupe en son sein des acteurs étatiques et non étatiques, il a été créée sous l’égide de l’UNESCO qui avait pris l’initiative en 1948 de convoquer une conférence internationale au Palais de Fontainebleau pour la constitution de cet organe singulier au service du droit et de l’éthique de l’environnement. Son rôle lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement tenue à Stockholm en 1972 fut aussi important que celui des Etats dans le développement de la soft law consacrée plus tard par la Conférence de Rio en 1992.[ Voir Juliette Oliver « L’union Mondiale pour la nature (UICN). Travaux du CERIC. ED Bruylant, Bruxelles 2005,p.17 et s.]

[25] Il ne faut pas omettre la recommandation comportant « les Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales », car elle a eu un effet du moins d’alibi d’éthique pour éviter les critiques sur les investissements de certaines sociétés dans les pays ayant eu des problèmes en matière de respect des droits de l’homme.


[26] Plantey, Alain, La Négociation Internationale au XXIe Siècle (CNRS Éditions, 2002)Para,2211,2212 et s.