Le rôle
d’Interpol dans le respect des droits de l’homme implique plusieurs
approches et soulève plusieurs questions.
La première
question est celle des conséquences néfastes des nouvelles formes de la
criminalité internationale sur les sociétés civiles et sur les droits de
l’homme. L’inadéquation des législations pénales face aux abus de l’utilisation
d’Internet, ou l’absence de définition internationale de la criminalité
organisée, par exemple, posent la question de l’insuffisance de la protection
pénale des droits de l’homme et de la démocratie.
La criminalité
internationale, de par sa nature, réclame une réponse internationale et, pour
les victimes, une justice à la hauteur de ces exigences. Il y a lieu, en
conséquence, de favoriser un principe que l’on peut appeler “le droit des
individus à la justice nationale et internationale”.
Le droit à la justice internationale
Ce droit
découle de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, notamment de son article 3, qui
proclame que “tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa
personne”. Il est évident que la mission de la police concerne essentiellement
la mise en application de cet article, dans la mesure où la police a pour rôle
essentiel d’assurer la sûreté des individus dans la société, et où la mission
d’Interpol intéresse directement la prévention des crimes et l’arrestation de
ceux qui menacent la sécurité des êtres humains1.
Toute atteinte
aux droits fondamentaux de la personne humaine, notamment au droit à la vie, à
la santé, à l’intégrité corporelle et à la liberté, doit pouvoir être
sanctionnée, en cas d’inefficacité des juridictions nationales, par une
juridiction pénale internationale à laquelle Interpol pourra fournir toute
l’assistance nécessaire. Le ciment de l’activité d’Interpol, en effet, est la
protection pénale des droits de l’homme menacés par les infractions contre les
personnes et leurs biens.
Il n’y a qu’à
prendre l’exemple, parmi bien d’autres, de l’utilisation d’Internet, pour se
rendre compte de l’inadéquation d’une approche purement nationale. Un tel
outil, en effet, ne connaît pas de frontières, et la prévention comme la
répression doivent être adaptées à cette évolution. Internet a fait fleurir une
multitude d’infractions liées à la circulation de l’information, telles que la
diffusion de messages extrémistes ou contraires aux bonnes mœurs, susceptibles
d’être vus ou perçus par des mineurs. Ces infractions mettent gravement en
danger le respect des libertés et des droits fondamentaux de la personne,
notamment lorsqu’il s’agit de la diffusion de messages à caractère pédophile ou
portant atteinte à la vie privée.
Encore plus
graves sont les crimes commis dans les situations particulières que sont les conflits
armés, qu’ils soient internationaux ou simplement locaux. Ces crimes posent des
défis auxquels seule une justice réellement internationale peut répondre pour
éviter d’en prolonger les effets dans le temps.
A l’aube du
nouveau millénaire, la protection des droits de l’homme ne peut pas être
seulement une affaire de souveraineté nationale. Il faut qu’elle intéresse la
communauté internationale dans son ensemble et surtout le droit pénal
international. La notion de crime de génocide ou de crime contre l’humanité
implique en effet la reconnaissance au profit de la personne humaine de droits
fondamentaux supérieurs au droit de l’État, et protégés, en cas de violation,
par des sanctions pénales internationales.
Un pas
essentiel vers ce droit à la justice a été concrétisé par l’adoption du statut
de la Cour
pénale internationale, en juillet 1998 à Rome. L’OIPC-Interpol trouve sa
place naturelle dans ce processus. En effet, le statut de la Cour fait une référence
expresse à l’Organisation en lui assignant un rôle important2.
Cette
évolution permettra sans doute d’apporter une réponse au nécessaire
accomplissement du droit à la justice, lui-même intimement lié au droit de
savoir. Il s’agit essentiellement d’un droit collectif qui trouve son origine
dans l’Histoire, afin d’éviter que des violations graves ne se reproduisent à
l’avenir. Son but est de mettre tout en œuvre afin de conserver les archives ou
les preuves pour la justice et pour l’Histoire. La préservation des archives
peut être également éducative tant pour la police et les juges que pour les
autres acteurs de la coopération internationale ou les historiens.
Place des droits de l’homme dans le
système de coopération policière internationale
La seconde
question, qui est la plus importante au regard de l’activité quotidienne
d’Interpol, est de savoir quelle norme Interpol applique pour que sa propre
action respecte aussi bien les droits de l’homme que la déontologie
professionnelle qui doit s’appliquer à la coopération internationale des
polices.
La réponse à
cette question implique d’analyser toutes les conséquences de la référence à la Déclaration
universelle des droits de l’homme dans l’article 2 du statut de l’Organisation,
ainsi que le contrôle de ce respect par un organe indépendant.
Cela revient à
apprécier la place de cette notion dans le système de coopération policière
internationale. A cet égard, l’article 2 du statut d’Interpol n’admet l’action
policière sur le plan international que dans l’esprit de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et dans le cadre des lois existant dans les
différents pays.
Pour mettre en
application l’article 9 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme, qui prévoit
que “nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé”, le “Règlement
interne relatif à la coopération policière internationale et au contrôle
interne des fichiers de l’OIPC-Interpol” dispose que son but est “de protéger
contre tout abus les informations de police traitées et communiquées au sein du
système de coopération policière internationale mis en place par
l’OIPC-Interpol, notamment en vue de prévenir toute atteinte aux droits des
individus”.
C’est à
l’occasion de la communication d’une information ou de la motivation d’une
demande d’information que le Secrétariat général peut apprécier certaines
demandes abusives qui pourraient porter atteinte à la liberté d’aller et venir,
au droit de ne pas être arrêté arbitrairement (article 9 de la Déclaration), au droit
à un juste procès (articles 10 et 11) ou au droit d’asile
(article 14), enfin à la protection de la liberté d’association et
d’opinion.
La référence à
la Déclaration
universelle des droits de l’homme dans l’article 2 du statut de l’OIPC-Interpol
produit en conséquence des effets considérables dans l’ordre juridique interne
de l’Organisation, dans la mesure où Interpol n’est pas autorisé à utiliser les
informations dont il dispose pour des finalités qui ne figurent pas dans son
statut ou ses règlements3.
Une
restriction fondamentale est ainsi posée par l’article 3 du statut de l’OIPC-Interpol,
qui dispose que “toute activité ou intervention dans des questions ou affaires
présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial est
rigoureusement interdite à l’Organisation”.
Cet article
doit également être interprété comme l’expression directe du respect des droits
de l’homme dans la mise en œuvre des poursuites pénales, ainsi que comme une
conciliation entre la souveraineté des États et l’indépendance et la neutralité
d’Interpol.
Ni le
Secrétariat général, ni les bureaux centraux nationaux ne peuvent coopérer, en
utilisant le canal d’Interpol, à la recherche des individus poursuivis pour des
infractions qui sont par essence de nature politique, telles que les délits
d’opinion, les délits de rassemblement (manifestations), etc. L’article 3 fait
également obstacle à ce qu’un individu soit recherché par l’intermédiaire
d’Interpol simplement parce qu’il appartient à tel ou tel mouvement politique
ou religieux, alors qu’aucune infraction grave de droit commun ne lui est reprochée.
D’autres
règles sont également en vigueur à Interpol pour la protection des données à
caractère personnel collectées et traitées par le Secrétariat général. Les
principes directeurs de l’action d’Interpol peuvent être considérés comme des
principes complémentaires à la
Déclaration universelle des droits de l’homme.
Le contrôle de
ces règles est attribué à un organe de protection de données. Cet organe est
connu sous le nom de Commission de contrôle des fichiers d’Interpol. Cette
commission est composée de magistrats indépendants et de spécialistes dans la
protection des données à caractère personnel. Elle a pour mission de contrôler
les archives d’Interpol et de rendre des avis recommandant la purge des données
litigieuses ou contestées par des individus.
L’action d’Interpol en matière de
droits de l’homme
La troisième
question est de savoir comment la police doit respecter les droits des accusés
et des détenus, et comment Interpol assure ce respect dans ses relations avec
les services nationaux de ses États membres. A cette question, les travaux
de l’Organisation, depuis 1949 jusqu’à nos jours, ont donné une réponse
concrète qui a pris la forme de cinq types d’actions :
1. Améliorer
l’état législatif des textes nationaux relatifs aux “Pouvoirs et obligations de
la police en matière de :
- Surveillance des criminels
internationaux,
- Arrestation et détention des
personnes,
- Audition des mis en cause et
des témoins,
- Fouilles, perquisitions,
confiscations et saisies”.
2. Aider les
pays à mettre en œuvre un code national de déontologie policière, inspiré des
résolutions votées tant par l’Assemblée générale de l’ONU que par l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe en 1979; ces deux résolutions comportent
les germes d’un code international de déontologie policière. Cette question
mérite un débat spécifique dans la mesure où le code de conduite fait partie
d’un concept large d’éducation et de prévention en rapport intime avec le
contenu des responsabilités et des devoirs de la police. La bonne organisation
des services de contrôle de la police, ou leur structure, sont des éléments
importants, mais qui ne peuvent pas être suffisants sans un code de conduite
favorisant la prévention de la corruption et l’exercice des fonctions dans le
respect du principe de désintéressement de l’agent public.
3. Rendre
obligatoire l’enseignement des droits de l’homme dans les écoles de police et
faire des rapports sur les sujets enseignés et les problèmes rencontrés en la
matière; cette initiative a été accueillie favorablement puisque plus de
quatre-vingts États ont fourni ces rapports, et presque tous ces États ont
affirmé que les droits de l’homme figurent dans le programme de leurs
institutions à tous les niveaux.
4. Assurer une
formation internationale ou régionale pour les officiers des police chargés de
mener des enquêtes internationales sur les infractions complexes et en rapport
avec les droits de l’homme (infractions sur les mineurs, blanchiment, crime
organisé, gestion des bases de données, etc.) et participer à des actions
locales dans les États, en coopération avec les autres organisations
internationales concernées.
5. Contribuer
à la codification de conventions internationales en cours de ratification ou
d’élaboration au sein du Conseil de l’Europe, telles que les conventions
pénales et civiles sur la corruption ou sur le cybercrime, ainsi qu’au sein de
l’ONU, telle que la convention sur la criminalité organisée et ses protocoles
portant sur le trafic d’immigrants, le trafic d’enfants et de femmes, et le
trafic d’armes et d’explosifs.
Toutes les
actions entreprises par l’OIPC-Interpol à cet égard verraient sans doute leur
importance amplifiée si elles pouvaient renvoyer à un code international de
déontologie policière et à une convention internationale sur l’échange
d’informations de police, convention dont l’établissement constitue
certainement un des enjeux majeurs de ces prochaines années.
Publié à la Revue Internationale de la Police Criminelle
RIPC/ ICPR, No. 474-475, 1999
Notes
1. Par
exemple, lorsque la personne humaine est traitée comme un objet susceptible de
procurer des bénéfices illicites, il faut que les investigations de la police
conduisent à l’arrestation de ceux qui ont commis les infractions d’esclavage.
2. L’article
87 (1) du Statut de Rome dispose :
“1.a) La Cour est habilitée à adresser
des demandes de coopération aux États Parties. Ces demandes sont transmises par
la voie diplomatique ou toute autre voie appropriée que chaque État Partie
choisit au moment de la ratification, de l’acceptation ou de l’approbation du
présent Statut ou de l’adhésion à celui-ci.
Toute modification ultérieure du
choix de la voie de transmission est faite par chaque État Partie conformément
au Règlement de procédure et de preuve.
b) S’il y a lieu, et sans
préjudice des dispositions de l’alinéa a), les demandes peuvent être également
transmises par l’Organisation internationale de police criminelle ou par toute
organisation régionale compétente.” La Cour pénale internationale (CPI) est le tribunal international
permanent chargé de poursuivre des auteurs de crimes de guerre, de
crimes contre l'humanité et de génocide.
3. La finalité
est précisée par les dispositions de ce règlement interne qui autorise
l’échange des informations uniquement “dans un but de prévention et de
répression d’infractions pénales de droit commun, dans l’intérêt des
investigations les concernant, pour la recherche des personnes disparues ainsi
que pour l’identification de cadavres”.
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