Wednesday 16 October 2013

Avec l'accélération du pillage des biens culturels irakiens, éyptiens et syriens Pourquoi les Pays arabes ne ratifient-ils pas la Convention d'UNIDROIT sur la restitution des biens culturels volés ou illicitement exportés?





« A l’heure actuelle, le trafic de biens culturels représente un chiffre d’affaire annuel de près de 20 milliards de dollars par an. »


Le Conseil international des musées (ICOM) ne cesse pas depuis une décennie de publier des  Listes rouges répertoriant les catégories d’objets archéologiques ou d’œuvres d’art en danger dans les zones du monde particulièrement vulnérables, abstraction faite des actions de l’UNESCO, d’INTERPOL et d’ICCROM dans ce domaine, après aussi la destruction tragique et criminelle des deux Bouddhas géants de Bamiyan, vieux de quinze siècles en Afghanistan, ou des récentes destruction des sites musulmans sacrés, sauf pour les intégristes salafistes croyant à un devoir divin ténébreux de détruire tous les idoles du passé ou du présent. 

Aux Listes Rouges d’urgence des antiquités iraquiennes en péril depuis 2003 et des biens culturels égyptiens en péril depuis 2011, s’ajoutent les derniers attentats du 14 août 2013 contre le Musée des antiquités de Mallaoui en Egypte.

Bientôt, il y aura d’autres concernant les biens culturels syriens non épargnés par les belligérants, sans oublier ce que le Liban a perdu beaucoup de ses biens culturels pendant la guerre civile. Bien des musées syriens ont aussi vu leurs bâtiments détériorés par les conflits armés. 

Selon des sources locales, le célèbre musée régional de Hama a été pillé. Alep, au nord de Hama, a également vu les pilleurs s’abattre sur ses trésors culturels. La proximité des frontières turque, irakienne, jordanienne et libanaise accroît nettement le risque de voir ces biens culturels quitter clandestinement le pays. 

Il importe d’agir urgemment sur tous les plans, y compris pour collecter toutes les informations sur la multiplication des dommages causés à plusieurs sites culturels, durant ce conflit syrien ou la multiplication d’actes de terrorisme en Irak ou ailleurs, d’autant plus qu’il s’agit d’un phénomène grave où l’on observe que l’attaque à l’identité des peuples syrien, égyptien, irakien et malien est commis par des groupuscules armées pour ou contre les régimes en place.

Le pire, c’est que tout le monde déplore ces actes de violence.

Or, quelques soient les responsabilités  des groupes armés locaux ou infiltrés dans ces pays, la responsabilité première incombe aux institutions étatiques qui auraient dû améliorer leur arsenal juridique et opérationnel pour la protection de la mémoire de leurs entités nationales. 

Certes, les pays arabes ont-ils (dans la majorité et à l’exception de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis) ratifié la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. 

Cependant, cette Convention relevant du droit international public prévoit des obligations à la charge des Etats pour agir au niveau institutionnel, mais ne règle pas les aspects de droit privé de la protection des biens culturels. C’est pourquoi, l’UNESCO s’est tourné vers l'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT)  pour préparer la Convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, adoptée en 1995 comme complément à la Convention de 1970.  

La Convention d’UNIDROIT renforce les dispositions de la Convention de l’UNESCO de 1970 et les complète en formulant des règles minimales en matière de restitution et de retour de biens culturels. Elle garantit  les règles du droit international privé et de la procédure internationale de restitution ou de retour. Dans cette Convention, les États se concentrent sur le traitement uniforme de la restitution des biens culturels volés ou illicitement exportés et admettent que des demandes en restitution soient traitées directement par les tribunaux nationaux. Les deux conventions sont donc compatibles et complémentaires.

Or, contre toute logique cohérente et en l’absence d’une véritable politique législative globale, aucun pays arabe n’a ratifié la Convention d’UNIDROIT qui donne les moyens opérationnels pour saisir les tribunaux des pays vers lesquels les biens volés seront clandestinement exportés.

Ce n’est pas le manque de compétences des juristes arabes spécialisés dans ce domaine ou dans le domaine de droit international privé qui expliquent cette faille dans l’arsenal juridique de protection des biens culturels arabes ou musulmans, chrétiens ou assyriens, phéniciens ou égyptiens. Par exemple, le Conseiller de la Suisse en la matière est un juriste d’origine tunisienne.

Compte tenu des risques imminents du trafic illicite des biens culturels de la Syrie, Libye, Liban, Irak et l’Egypte, il est plus que jamais essentiel que l’ensemble des pays arabes rejoignent les rangs des États parties à la Convention d’UNIDROIT afin de prévenir davantage l’appauvrissement de leur propre patrimoine qui est aussi celui de l’humanité. 

Cela me rappelle mon article ci-dessous que j’ai rédigé en 1994, durant la négociation de la Convention d’UNIDROIT à Rome et qui explique le pourquoi de cette Convention et l’importance de la Collaboration entre les institutions culturelles et INTERPOL, l’Organisation Mondiale des Douanes et les ONGs.

L'importance d'un registre des biens culturels volés, d'après l'avant-projet de convention d'Unidroit

L’étude de l’avant-projet de convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, tel qu’il a été révisé par le Secrétariat d’Unidroit fin 1993, permet de constater l’importance des travaux en matière de droit privé dans la prévention des infractions portant sur ces biens.
L’objectif de la convention d’Unidroit n’est pas d’harmoniser le droit pénal des Etats, mais d’assurer la réciprocité en ce qui concerne le sort juridique des biens volés, et notamment l’uniformité de la solution en matière de restitution et de retour des biens culturels volés ou illicitement exportés.
En effet, le texte de l’avant-projet de la convention rend obligatoire la restitution du bien culturel volé à son propriétaire d’origine. La restitution peut s’effectuer avec ou sans indemnité, selon que le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi. C’est la notion de la bonne foi au sens de ce projet qui mérite d’être signalée, sans que la présente analyse fasse des références aux régimes nationaux en matière de recel ou d’infractions de droit commun portant sur les œuvres d’art.
Pour illustrer l’importance des dispositions du projet d’Unidroit, le présent article insiste sur l’importance de l’existence d’un registre accessible au public, et sur les problèmes de coopération tant entre le Secrétariat général de l’OIPC-Interpol et les autorités nationales de police qu’entre celles-ci et le secteur privé.



L’acquéreur de bonne foi



L’article 4, alinéa 2, du projet de convention dispose : « Pour déterminer si le possesseur a exercé une telle diligence, il sera tenu compte des circonstances pertinentes de l’acquisition, notamment la qualité des parties et le prix payé, de la consultation par le possesseur de tout registre raisonnablement accessible sur les biens culturels volés et de toute autre information et documentation pertinentes qu’il aurait pu raisonnablement obtenir. »
Le même principe est formulé d’une manière implicite à l’article 5 en ce qui concerne les biens illicitement exportés. Le possesseur est de bonne foi (selon l'article 8), à moins « qu’il n’ait su ou dû savoir, au moment de l’acquisition, que le bien devait être ou avait été exporté en violation de la législation » de l’Etat demandeur.
L’idée générale reflétée par ces dispositions devrait être approuvée. Elle consiste à dire que le versement d’une indemnité au possesseur du bien culturel volé n’est justifiée que si celui-ci prouve qu’il a exercé la diligence requise lors de l’acquisition de ce bien.
Ces exigences qui renversent la charge de la preuve d’une manière dérogatoire au droit commun de plusieurs pays de civil law risquent d’entraîner des conséquences importantes en matière de lutte contre le trafic des biens culturels. A cet égard, il est souhaitable que les Etats parviennent à surmonter les difficultés nées de la diversité de leurs systèmes juridiques, afin d’aboutir à un texte de convention tenant compte du caractère particulier des biens à protéger.
En effet, la référence à un « registre accessible au public » conditionne toute action en la matière dans la mesure où la possession (réputée de bonne foi) des biens en question ne suffit plus pour justifier la non-restitution desdits biens à leur propriétaire d’origine. Le projet de convention offre un critère précis pour apprécier les diligences du possesseur, à savoir la consultation d’un registre. Cette disposition permettra d’obliger les professionnels à redoubler de prudence lors de l’acquisition des biens culturels qui leur sont offerts, une prudence lourde de conséquences et qui pourrait provoquer le marasme du marché des biens culturels volés.
C’est la raison pour laquelle il faudrait attacher une grande importance à la consultation d’un registre accessible au public et inviter les Etats à avancer vers la l’adoption du projet de convention ou à introduire ses dispositions dans leurs législations nationales.



Les registres nationaux

L’établissement des registres nationaux en collaboration avec les autorités nationales de police et les autres organes chargés de mettre en œuvre les conventions internationales permettra une prévention plus efficace contre le trafic des biens culturels.
A cet égard, les Bureaux centraux nationaux, interlocuteurs privilégiés de l’OIPC-Interpol, devraient être encouragés à instituer ces registres nationaux en collaboration avec les autres organes ministériels chargés de l’application de la Convention de l’Unesco, laquelle invite tous les pays à effectuer l’inventaire de leurs biens culturels importants. Ceci est possible dans les pays possédant l’infrastructure nécessaire (administration informatisée, grande expérience dans la gestion de la collection publique, etc.). Mais le problème reste entier dans les pays pauvres en moyens et riches en biens culturels, même si une collaboration internationale dans ce domaine est possible.
Certains pays, comme le Canada, ont commencé à établir un registre national accessible au public. Toutefois, le registre national ne suffit pas pour couvrir tous les aspects internationaux de cette criminalité. En outre, l’avant-projet de la convention d’Unidroit (paragraphes a et b de l’article 1) traitant des demandes de restitution ou de retour de biens culturels volés ou illicitement exportés a suscité des discussions sur la limitation du champ d’application de la future convention aux seules situations internationales. Deux tendances sont apparues : la première réclame une définition de ces situations internationales, et la deuxième juge que le caractère international peut se déduire de l’avant-projet dans la mesure où les biens auront franchi les frontières d’un ou de plusieurs Etats contractants. Bien qu’il soit inutile de vouloir définir tous les éléments qui pourraient donner lieu à la constatation du caractère international de la demande de restitution, il importe de dire que le caractère international de l’infraction, résultant par exemple de la nationalité des auteurs ou des victimes, ne préjuge en rien du caractère international de la demande de restitution.
Quelle que soit la solution retenue par le comité d’Unidroit (laisser au juge du for le soin de constater le caractère international de la demande, ou tenter une définition non exhaustive dudit caractère dans les dispositions de la convention), la distinction entre situations internes et situations internationales entraînera des régimes juridiques distincts en ce qui concerne la restitution des biens culturels et la notion de bonne foi. Il en va de même en matière d’établissement d’un registre accessible au public.
En tout état de cause, certains pays souhaitent l’établissement d’un registre international. C’est la raison pour laquelle on pense à Interpol. Mais Interpol n’a pas de registres accessibles au public.

Le rôle d’Interpol

Il est opportun de rappeler qu'au sein de l’OIPC-Interpol la coopération internationale contre le trafic des biens culturels  s’opère entre le Secrétariat général et les Bureaux centraux nationaux (BCN) des pays membres. Les BCN font partie des administrations nationales et sont des autorités publiques.
L’assistance de l’OIPC-Interpol consiste à diffuser à tous les BCN des informations sur le vol de biens culturels. Les informations contenues dans les fichiers du Secrétariat général comportent des données à caractère personnel (par exemple en vue de l’arrestation des auteurs d’infractions) et des données non personnelles fournissant la description, y compris l’image, d’objets identifiables, volés ou acquis au moyen d’une infraction pénale. Le projet ASF (base de données sélectionnées au sein du Secrétariat général) permettra bientôt l’accès direct des BCN aux données (et aux images en couleurs) qui seront disponibles sur les biens culturels volés. Cela facilitera le travail de répression et de prévention des services nationaux de police, tout BCN équipé d’un système relié au serveur central de l’ASF pouvant accéder à l’information en quelques secondes, selon la nature des liaisons de télécommunication adoptées pour correspondre avec le Secrétariat général.
Toutefois, ces fichiers ne sont pas accessibles au public. N’y ont accès que les BCN et certains organismes autorisés par le BCN qui a communiqué l’information à Interpol. Certes, il est toujours possible de communiquer à des organismes privés telle information sur des biens culturels volés, conformément à l’article 8.5 du « Règlement relatif à la coopération policière internationale et au contrôle interne des fichiers de l’OIPC-Interpol », après autorisation du BCN habilité à disposer de l’information en question. Mais, la politique du Secrétariat général de l’OIPC-Interpol, dépositaire de ces informations, reste basée sur le renvoi aux BCN, qui doivent décider eux-mêmes de l’opportunité de la communication aux particuliers.
La question qui se pose est de savoir si cette politique, suivie à juste titre par le Secrétariat général de l’OIPC-Interpol en raison des contraintes en matière de protection des données, est susceptible d’une ouverture à l’égard du secteur privé intéressé par les données à caractère international relatives aux œuvres d’art volées.
Je crois que cette ouverture existe à titre occasionnel, comme en témoigne la communication de l’affiche portant sur les œuvres d’art les plus recherchées, ou les colloques organisés par le Secrétariat général. Mais cette ouverture ne saurait prendre un caractère permanent sans risque d’entendre des voix reprocher à l’OIPC-Interpol d’avoir outrepassé sa compétence, dont la caractéristique principale est la coopération avec les autorités nationales de police en vue d’assurer la répression et la prévention des infractions de droit commun. 



Coordination entre registres officiels et privés



Si les autorités nationales de police, notamment les BCN, acceptent que leurs données non nominatives relatives aux biens culturels volés soient communiquées au public, elles pourront indirectement rendre la base de données du Secrétariat général accessible à ce public, dans la mesure où toutes les données de l’OIPC-Interpol sont diffusées aux BCN, sauf restrictions imposées par le BCN qui est à l’origine de l’information. En d’autres termes, la question essentielle revient à savoir s’il est possible pour les BCN de rendre leurs bases de données accessibles au public à des fins de prévention.
La réponse à cette question dépend de la législation nationale de chaque pays, les échanges d’informations entre les services nationaux de police et les particuliers étant régis par les lois nationales. A cet égard, on note dans certains pays une évolution dans les relations entre les sociétés d’assurances ou les galeries d’art et la police. Ces relations ont permis à des sociétés privées de faire circuler des revues, voire de compléter leurs bases de données privées avec des informations diffusées sur le plan international, informations qui deviennent dès lors accessibles sous forme imprimée ou par un système informatique avec affichage en couleurs permettant d’identifier les biens culturels volés. Ces organismes privés, financés par des assureurs ou d’autres professionnels, agissent à titre onéreux et exigent des contrats de consultation. Ils ont perfectionné leur système informatique et possèdent un réseau international important dans les pays industrialisés (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, etc.).
Si le client intéressé par une œuvre d’art disponible sur le marché est abonné à l’une de ces bases de données répertoriant les œuvres d’art volées, il ne peut plus acheter l’œuvre enregistrée comme volée, sous peine d’être considéré comme acquéreur de mauvaise foi. En revanche, si l’œuvre volée ne figure pas dans la base de données à laquelle le client est relié, il sera considéré comme ayant exercé la diligence requise et, par conséquent, comme un acquéreur de bonne foi (abstraction faite des autres éléments de la preuve de la bonne foi). La description schématique de ce système de consultation pose cependant la question de la fiabilité des registres privés accessibles au public.
La coordination entre responsables des registres privés et des registres officiels acquiert ainsi une importance capitale pour la fiabilité de l’information sur les œuvres d’art volées. Il conviendrait donc que dans les BCN la communication d’informations à des registres privés soit subordonnée au respect de certaines règles en matière de mise à jour et de conservation des renseignements transmis. 



Conclusion


Le Secrétariat général de l’OIPC-Interpol possède donc un registre international des biens culturels volés ou ayant fait l’objet d’une infraction pénale. Ce registre informatisé est accessible aux BCN, qui ont la liberté de gérer leur coopération avec le secteur privé victime des infractions portant sur les biens culturels. L’avant-projet de la convention d’Unidroit fournit un instrument juridique important pour la prévention desdites infractions. Cependant, la création d’un registre international accessible au public pose des problèmes juridiques et techniques de coopération, aussi bien entre les BCN et le secteur privé qu’entre les BCN et le Secrétariat général de l’OIPC-Interpol. Il est possible de résoudre ces problèmes par une concertation internationale impliquant tous les partenaires intéressés, afin de renforcer la lutte contre le trafic de biens culturels. En attendant, la communication par Interpol de certaines notices d’objets d’art volés, après autorisation générale des BCN conformément au règlement de la coopération, permet de conserver des relations avec le public à avertir. Ce numéro spécial de la Revue internationale de police criminelle en est la preuve.
*Article publié dans la Revue Internationale de la Police Criminelle (RIPC) sous le titre de « L’importance d’un registre des biens culturels volés, d’après l’avant-projet de convention d’Unidroit, S. El Zein, n° 448-449 (mai-juin/juillet-août 1994), p. 68. ». Un autre article non disponible visait déjà les faux objets d’art, la contrefaçon et le faux monnayage qui a fait suite à un article publié en 1988 sur le thème suivant : « Les législations des pays arabes en matière de faux monnayage: leur conformité à la Convention de Genève de 1929, S. El Zein, n° 414 (septembre-octobre 1988), p. 14.





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